TJ Paris, 3ème Ch., 1ère section, 21 janvier 2021
Un street artist avait réalisé sur un mur extérieur une fresque représentant une Marianne asiatique.
L’artiste a ensuite découvert que sa fresque apparaissait au sein de vidéos réalisées par un parti politique lors de la campagne des élections municipales de 2020 et diffusées sur les comptes Youtube et Facebook du parti et de son principal représentant.
L’artiste a assigné le parti politique et son principal représentant pour contrefaçon, arguant de l’atteinte à son droit moral et patrimonial au regard de l’exploitation non autorisée de son œuvre.
Les défendeurs soutenaient d’abord que l’artiste ne démontrait pas être titulaire des droits sur la fresque dans la mesure où certaines prises de vue indiquaient qu’elle était signée sous un autre nom que celui de l’artiste. Or, le tribunal estime que l’auteur justifie de sa titularité des droits en versant des pièces relatives au processus créatif ainsi que par l’analyse d’une publication Instagram produite par les défendeurs.
L’originalité de la fresque était également contestée, ce que le tribunal rejette en soulignant que les choix esthétiques de l’auteur s’expriment dans une composition représentant notamment « une version moderne et ouverte de la République sous les traits d’une jeune femme asiatique très actuelle ».
Les spécificités de cette décision concernent les demandes liées à la contrefaçon dont l’artiste est entièrement débouté.
Le demandeur reprochait aux défendeurs que son œuvre soit assortie d’un autre nom que le sien.
Le tribunal considère que les défendeurs n’ont pas commis de faute dans la mesure où, étant sur la voie publique, les œuvres de street-art sont susceptibles de subir des atteintes à leur intégrité et au droit de paternité de leur auteur.
Par ailleurs, l’artiste n’établit pas en quoi le fait que son œuvre soit associée à un parti porte atteinte à l’intégrité de son œuvre. Il est jugé que les représentations de l’œuvre dans les vidéos, les messages portés par l’œuvre et le parti concerné n’apparaissent pas contradictoires.
Le tribunal considère également que l’atteinte aux droits patrimoniaux n’est pas caractérisée. Les défendeurs s’étaient fondés sur l’exception dite de « liberté de panorama » prévue à l’article L 122?5, 11° du Code de la propriété intellectuelle. Le tribunal apporte des précisions sur cette liberté de panorama en soulignant qu’elle permet à toute personne de filmer les œuvres d’architecture et de sculpture, ainsi que les graffitis dont elles sont éventuellement couvertes dès lors qu’elles sont situées en permanence sur la voie publique et que leur reproduction est réalisée par une personne physique à des fins non commerciales. L’utilisation par le représentant du parti, personne physique, n’est pas jugée commerciale mais politique et donc couverte par cette exception.
Concernant l’exploitation réalisée par le parti politique lui-même, le tribunal considère que l’utilisation est couverte par l’exception de courte citation en ce que la reproduction de cette œuvre appuie le message développé par les vidéos, à savoir la demande du « peuple » en faveur d’une nouvelle République plus humaniste.
La présente décision est intéressante en ce qu’elle prend en compte les spécificités du street-art, telles que sa présence dans l’espace public et le risque constant d’atteinte à son intégrité, pour apprécier les atteintes que ces œuvres pourraient réellement subir par leur exploitation. Surtout, il s’agit d’une application rare de l’exception de liberté de panorama.