La détermination des conditions d’accès d’un tiers aux codes sources d’un logiciel est importante, aussi bien pour le titulaire d’une licence qui souhaitera généralement s’assurer de la pérennité et de l’évolution de la solution exploitée dans le cadre de son activité, que pour l’éditeur du logiciel concerné, qui mettra tout en œuvre pour éviter toute divulgation du « cœur » de sa solution.
Outre les modalités prévues contractuellement entre les parties, la loi prévoit également des hypothèses où un tel accès est possible, parmi lesquels les nécessités d’interopérabilité. A ce titre, rappelons les termes de l’article L.122-6 IV du code de la propriété intellectuelle selon lequel : « La reproduction du code du logiciel ou la traduction de la forme de ce code n’est pas soumise à l’autorisation de l’auteur lorsque la reproduction ou la traduction au sens du 1° ou du 2° de l’article L. 122-6 est indispensable pour obtenir les informations nécessaires à l’interopérabilité d’un logiciel créé de façon indépendante avec d’autres logiciels », sous réserve de la réunion de certaines conditions prévues par le texte.
Par cette décision en date du 20 octobre 2011, la Cour de Cassation vient préciser la notion d’interopérabilité, et ce de manière large.
En l’espèce, une société titulaire de droits sur différentes solutions logicielles destinées à des huissiers de justice, avait assigné en contrefaçon, concurrence déloyale et parasitisme, un de ses anciens salariés (par ailleurs développeur desdites solutions), lequel avait développé une nouvelle solution logicielle également destinée aux huissiers de justice, ainsi que différentes sociétés chargées d’en assurer l’installation, la maintenance et la commercialisation de cette dernière.
La société demanderesse reprochait notamment aux défendeurs d’avoir réalisé des opérations de migration, à la demande d’un de ses clients, et ce, sans son autorisation préalable.
La Cour d’appel de Chambéry avait considéré que les nécessités d’interopérabilité justifiaient de telles opérations de migration et la société avait formé un pourvoi contre cet arrêt.
Parmi les différents moyens soulevés, la demanderesse faisait notamment état du fait que « l’interopérabilité vise à permettre le fonctionnement du logiciel en interaction avec d’autres logiciels, de façon à assurer une communication cohérente et constante entre deux logiciels ». Cette proposition de définition n’apparaissait pas contestable en tant que telle mais posait néanmoins la question de savoir si celle-ci n’était pas trop restrictive.
A ce titre, la Cour de cassation fait directement référence à la directive CE n° 91/250 du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, codifiée par la directive CE n° 2009/24 du 23 avril 2009, afin de définir l’interopérabilité comme « la capacité d’échanger des informations et d’utiliser mutuellement les informations échangées ».
La Cour de Cassation a donc rejeté le pourvoi formé par la société demanderesse à l’encontre de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Chambery, précisant que « les opérations de migrations de données, réalisées par [les défendeurs], habilités à cette fin par les huissiers de justice titulaires de la licence d’utilisation du logiciel [édité par la demanderesse], pour récupérer les fichiers de ce programme, s’inscrivaient dans les strictes nécessités de l’interopérabilité autorisée par l’article L. 122-6-1 IV du code de la propriété intellectuelle qui prévoit la nullité de toute stipulation contraire ».
Par conséquent, les opérations de migration, consistant en des transferts des données d’un logiciel à un autre, s’inscrivent dans le cadre de l’exception d’interopérabilité prévue par le texte, sans qu’un contrat ne puisse déroger à ce principe.
Olivier HAYAT