Dénonciation d’un harcèlement et licenciement concomitants – Sur qui pèse la charge de la preuve ?
Les employeurs le savent : il est très dangereux de licencier un salarié qui a par ailleurs dénoncé un harcèlement, une juridiction pouvant juger nulle la rupture du contrat de travail et imposer la réintégration du salarié.
Lorsque le salarié a cependant, parallèlement à sa dénonciation, objectivement commis des faits distincts justifiant son licenciement, l’employeur doit-il pour autant s’abstenir de diligenter une procédure disciplinaire ?
En premier lieu, l’employeur ne doit jamais évoquer dans la lettre de licenciement cette dénonciation. A défaut, sauf à parvenir à démontrer la mauvaise foi du salarié (c’est-à-dire la connaissance de la fausseté des faits dénoncés ; notamment Cass. soc., 10 juin 2015, 14-13318) – ce qui sera toujours complexe – le licenciement sera irrémédiablement nul (notamment Cass. soc., 10 mars 2009, 07-44092 : le grief tiré de cette dénonciation emporte « à lui seul la nullité de plein droit du licenciement »). A noter, les dispositions de l’article L1235-2-1 du code du travail, issues d’une des ordonnances dites Macron de 2017, ne permettent pas d’éviter cette nullité.
Mais qu’en est-il lorsque l’employeur passe sous silence, dans la lettre de licenciement, la dénonciation du harcèlement par le salarié, pour se concentrer sur les seuls griefs motivant par ailleurs le congédiement ?
C’est à cette question que répond la chambre sociale de la Cour de cassation dans un de ses arrêts rendus le 18 octobre dernier, publié au bulletin (Cass. soc., 18 oct. 2023, 22-18678).
En l’espèce, une salariée avait déposé plainte pour harcèlement sexuel contre un directeur d’établissement de son employeur. Concomitamment, l’entreprise avait procédé à son licenciement en arguant uniquement d’autres faits : refus réitéré de la salariée d’accomplir certaines de ses tâches, abandons de postes et actes d’insubordination.
Les faits reprochés à la salariée dans la lettre de licenciement étant néanmoins concomitants à la date à laquelle elle avait déposé plainte, la cour d’appel a directement annulé le licenciement – sans s’interroger sur la réalité du lien entre les griefs invoqués et la dénonciation du harcèlement – considérant, au vu de la chronologie des faits, que la dénonciation du harcèlement sexuel avait nécessairement pesé sur la décision du licenciement.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Ce faisant, elle impose un vade-mecum aux juges du fond qui devront appliquer une répartition de la charge de la preuve distincte selon les cas (cf. le § 5 de la décision de la haute juridiction) :
- soit les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement et, dans ce cas, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une plainte pour harcèlement moral ou sexuel ; la charge de la preuve pèse donc sur le salarié ;
- soit lesdits faits ne caractérisent pas une cause réelle et sérieuse de licenciement et, dans ce cas, il appartient à l’employeur de démontrer l’absence de lien entre la dénonciation par le salarié d’agissements de harcèlement moral ou sexuel et son licenciement ; la charge de la preuve pèse alors sur l’employeur.
En toute hypothèse, le juge du fond doit donc, avant toute chose, se poser la question du caractère réel et sérieux des griefs invoqués dans la lettre de licenciement (muette sur la dénonciation du harcèlement), pour ensuite déterminer sur qui pèsera la charge de la preuve relative à l’éventuel lien entre le licenciement et la dénonciation.
Ainsi, en l’occurrence, en l’absence de référence dans la lettre de licenciement à la dénonciation de la salariée, la cour d’appel n’ayant pas recherché « si les motifs énoncés par la lettre de licenciement pour caractériser la faute grave étaient établis », elle ne pouvait immédiatement annuler le licenciement.
Il appartiendra en conséquence à la cour d’appel de renvoi de procéder à cette recherche et, en fonction, de déterminer sur qui, de la salariée ou de l’employeur, pèsera la charge de la preuve du lien ou non entre le licenciement et la dénonciation du harcèlement sexuel. Dans un second temps, la juridiction pourra ou non prononcer la nullité du licenciement.