TGI de Paris, 3ème Ch., 1ère sect., 3 octobre 2019
La poursuite de la saga judiciaire entre les sociétés Vente-privée.com et Showroomprivé.com a donné lieu à une décision qui fera certainement l’objet de discussions sur la notion de dépôt frauduleux.
Au soutien de son assignation en annulation de deux marques semi-figuratives « vente-privee » déposées par la société Vente-privée.com, la société Showroomprivé.com invoquait le caractère descriptif des marques ainsi qu’un dépôt frauduleux dans le but de priver les tiers d’un signe nécessaire à leur activité.
Le Tribunal retient que l’expression « vente privée » est usuelle et générique au regard de l’activité désignée à l’enregistrement en classe 35 et que ni l’ajout d’un tiret, ni la suppression de l’accent dans l’élément verbal, non plus que l’élément figuratif (le papillon), ne sont de nature à conférer à cette combinaison une impression suffisamment éloignée de l’expression “vente privée” et de son sens usuel.
Les juges du fond rappellent toutefois qu’un signe, qui a été enregistré comme marque, alors qu’il était dépourvu de caractère distinctif, peut acquérir ultérieurement un tel caractère par l’usage qui en est fait à titre de marque comme l’a jugé la Cour de cassation dans son arrêt du 6 décembre 2016, s’agissant de la marque verbale « Vente-privee.com ». En l’espèce, le Tribunal relève que la société Vente-privée.com détient la position de « leader » du secteur des ventes événementielles en ligne en France avec près de 90% de parts de marché, qu’un sondage Médiamétrie démontre que la marque “vente-privee” est au 5ème rang des marques les plus connues de tout l’e-commerce et qu’une part significative des milieux intéressés identifie la marque en cause comme provenant de la société Vente-privée.com. Dès lors, la marque a acquis un caractère distinctif par l’usage dans les services de la classe 35 visée à l’enregistrement et la demande de nullité pour défaut de caractère distinctif est rejetée.
Pour autant, selon le Tribunal, la société Vente-privée.com « ne saurait s’approprier des termes génériques qui doivent rester disponibles pour tous les acteurs économiques de ce secteur et n’a aucune légitimité à monopoliser à son seul profit les termes “vente-privee”, extrêmement proches de “vente privée”, à titre de marque et à priver ses concurrents de l’usage de ces mots sauf à introduire une distorsion dans les règles de libre concurrence ».
Le Tribunal rappelle que selon la jurisprudence constante « un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité » et que « l’intention du déposant au moment du dépôt des demandes d’enregistrement est un élément subjectif qui doit être déterminé par référence à l’ensemble des facteurs pertinents propres au cas d’espèce, lesquels peuvent être postérieurs au dépôt »
En l’espèce, le Tribunal relève que de nombreux articles de presse produits par la société Vente-privee.com identifient la marque comme étant “vente-privée”, avec un accent, « ce qui témoigne de la confusion créée et de l’extrême proximité entre la marque et le terme générique ». Les juges du fond constatent également que le dirigeant de la société Vente-privée.com avait publiquement fait état, avant le dépôt des deux marques en cause, du caractère générique des termes démontrant ainsi une volonté délibérée d’appropriation au préjudice des concurrents.
Dès lors, selon le Tribunal, ces éléments démontrent le caractère frauduleux du dépôt en raison de la tentative d’appropriation de termes génériques. Le Tribunal annule en conséquence la marque semi-figurative pour dépôt frauduleux, sans que les circonstances postérieures au dépôt, à savoir l’acquisition du caractère distinctif par l’usage, ne soient prises en compte.
L’on peut s’interroger sur les conséquences de cette décision qui renvoie les marques génériques ayant acquis un caractère distinctif par l’usage à un risque d’annulation pour dépôt frauduleux en fonction des circonstances de l’espèce.