L’exploitation de la musique dite « libre de droit » constitue une activité à part entière pour les sociétés proposant à des chaînes de magasins, des bars ou tout autre type d’établissement accueillant du public, une sélection de musique présentée comme étant « libre d’utilisation ».
La décision du Tribunal de grande instance de Paris du 6 mars 2015 confirme que les phonogrammes présentés aux utilisateurs comme étant « libres de droit » ne le sont pas toujours.
En l’espèce, une enseigne avait conclu un contrat avec la société Musicmatic France par lequel cette dernière lui fournissait des appareils diffusant dans l’ensemble de ses surfaces commerciales des titres qu’elle garantissait être « libres de droit ». Quelques mois plus tard, l’enseigne reçoit un courrier de la SACEM puis de la SPRE (Société pour la Perception de la Rémunération Equitable) lui réclamant des sommes importantes au titre de la diffusion de musique dans ses magasins.
Dans son courrier, la SPRE précise que si un tiers « peut effectivement livrer des phonogrammes libres de droit d’auteur [à un établissement], il ne pouvait pas pour autant fournir des programmes libres de rémunération équitable ». Le mandat de perception de la SPRE s’appliquant de droit, sans aucun contrat, et donc à tous les phonogrammes.
L’absence de rémunération due aux sociétés de gestion collective pouvant être considérée comme une condition essentielle du contrat conclu avec la société Musicmatic France, l’enseigne l’assigne afin de mettre en jeu la garantie contractuelle pour faute et obtenir la résiliation dudit contrat.
Avant de se défendre sur le fond et conformément à la procédure instituée par l’article 61-1 de la Constitution, la société Musicmatic soulève une question prioritaire de constitutionalité (QPC) relative à l’article L.214-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) consacrant le régime de la rémunération équitable.
En premier lieu, Musicmatic soutient que l’article L.214-1 du CPI violerait le principe d’égalité tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel dans une décision du 9 avril 1996. Le corolaire de ce principe devant permettre de traiter deux situations juridiques distinctes différemment. En l’espèce et selon le raisonnement des parties, les dispositions relatives à la rémunération équitable devraient donc être différentes selon que les phonogrammes concernés sont « libres de droit » ou non.
L’argumentation des parties consiste également à revenir sur le principe de la gestion collective obligatoire qui priverait les producteurs et artistes de leur droit de propriété consacré à l’article 17 de la DDHC. En effet, Musicmatic fait valoir qu’en récoltant des sommes au titre de la rémunération équitable pour des artistes non-adhérents, la SPRE porterait atteinte à leur droit de propriété. En outre, le monopole des sociétés de gestion collective est également remis en cause, au regard de la liberté d’entreprendre consacrée à l’article 4 de la DDHC.
Le Conseil constitutionnel n’aura cependant pas l’occasion de se pencher sur ces différents griefs, la QPC étant rejetée par le Tribunal de grande instance de Paris pour défaut de caractère sérieux.
Dans sa motivation, le Tribunal souligne notamment que les parties ont renversé le principe d’égalité. En ouvrant la possibilité de traiter différemment de situations distinctes, le Conseil constitutionnel a seulement entendu rendre possible, et non obligatoire, une différence de traitement. Ainsi, le régime unique conduisant à ce qu’une même rémunération soit versée à tous les artistes interprètes et producteurs, que ces derniers soient ou non adhérents aux sociétés de gestion collective, applique au contraire pleinement le principe d’égalité.
L’argument relatif à l’adhésion obligatoire est quant à lui rejeté par le Tribunal qui considère que cette question n’est pas traitée dans l’article L.214-1du CPI et qu’une QPC ne peut donc pas être soulevée sur ce point. Est également dépourvu de caractère sérieux l’argument relatif au droit de propriété puisque le Tribunal considère au contraire que cet article « permet à des artistes et producteurs de recevoir un complément de rémunération en contrepartie de leur création. » Selon le Tribunal, l’article L.214-1du CPI renforcerait donc le droit de propriété et sa constitutionnalité ne pourrait être sérieusement remise en cause au regard des arguments avancés par les parties.
En rejetant la QPC pour défaut de caractère sérieux, la décision rendue conforte la position de la SPRE. Ce jugement est en outre révélateur de l’utilisation, souvent malvenue, du vocable « musique libre de droit » qui ne signifie pas « libre de rémunération équitable ».
Arnaud OKRAJ