Déséquilibre significatif : le ministre est-il tenu d’informer les fournisseurs de son action ?
Dans des décisions rendues à une semaine d’intervalle, les Tribunaux de commerce de Créteil et de Meaux ont donné à cette question une réponse différente.
Dans deux affaires, le ministre de l’économie avait assigné les distributeurs GALEC et Système U devant le Tribunal de commerce de Créteil, sur le fondement de l’article L.442-6-I-2° du Code de commerce prohibant le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Le ministre estimait que plusieurs dispositions des accords signés par ces distributeurs avec leurs fournisseurs créaient un tel déséquilibre, au profit des distributeurs.
Dans ses assignations, le ministre demandait au Tribunal, sur le fondement de l’article L.442-6-III du Code de commerce, de prononcer la nullité des clauses litigieuses et de condamner chacun des distributeurs au paiement d’une amende civile de deux millions d’euros. En cours de procédure, le ministre a abandonné sa demande de nullité et a demandé au Tribunal d’enjoindre les distributeurs de cesser pour l’avenir la pratique consistant à faire figurer les clauses litigieuses dans leurs accords.
Le Tribunal a statué sur ces demandes par deux jugements du 13 décembre 2011.
Se fondant sur la décision du Conseil Constitutionnel du 13 mai 2011 (voir La Lettre Economique n° 113), et constatant que le ministre n’apportait pas la preuve qu’il avait informé les fournisseurs concernés qu’il introduisait des actions à l’encontre du GALEC et de Système U sur le fondement de l’article L.442-6-III du Code de commerce, le Tribunal a considéré que les actions du ministre étaient irrecevables et l’a débouté en conséquence de l’ensemble de ses demandes.
Or, une semaine auparavant, et en présence d’une argumentation similaire des parties, le Tribunal de commerce de Meaux avait retenu la solution inverse, en admettant la recevabilité des demandes du ministre bien que ce dernier n’ait pas été en mesure de démontrer avoir informé les fournisseurs concernés de son action. Il s’agissait d’une affaire dans laquelle le ministre avait assigné Provera, mandataire chargé des achats pour les magasins sous enseigne Cora, devant le Tribunal de commerce de Meaux, sur le fondement des dispositions prohibant « le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». Le ministre, sur le fondement de l’article L.442-6-III du même code, demandait au Tribunal de prononcer la nullité de deux séries de dispositions des accords de Provera (à savoir la clause de résiliation pour « défaut de performance d’un produit » et des clauses déséquilibrées relatives aux délais de paiement), d’enjoindre Provera de cesser les pratiques litigieuses et de la condamner au paiement d’une amende civile de deux millions d’euros. En cours de procédure, le ministre a abandonné sa demande tenant à ce que soit prononcée la nullité des clauses litigieuses.
En défense, Provera soutenait que l’action du ministre était irrecevable, car il n’avait pas informé les fournisseurs concernés de l’introduction de son action, ce que la décision du Conseil Constitutionnel précité imposait selon elle.
Relevant que l’action du ministre ne tendait pas à l’indemnisation du préjudice des fournisseurs, ni au prononcé de la nullité des clauses litigieuses, mais poursuivait un objectif de défense de l’intérêt général (en demandant la cessation des pratiques pour l’avenir), le Tribunal, par jugement du 6 décembre 2011, a estimé que le ministre n’était pas tenu d’informer les fournisseurs de l’introduction de son action, et l’a donc déclarée recevable.
Devant cette contradiction manifeste, les opérateurs attendent de savoir laquelle de ces solutions divergentes suivront les autres juridictions saisies sur le même fondement, mais également la Cour d’appel de Paris.
Au-delà de cet aspect procédural, le Tribunal de commerce de Meaux a estimé que les deux séries de dispositions des accords Provera identifiées par le ministre créaient un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, au bénéfice de Provera :
– En premier lieu, le Tribunal a relevé que la clause de résiliation anticipée pour inexécution contractuelle permettait, du fait de sa rédaction, de résilier le contrat unilatéralement, sans préavis ni indemnité, en raison d’un « défaut de performance d’un produit », alors que l’absence de performance d’un produit était directement liée à ses conditions de vente par le distributeur ;
– En second lieu, le Tribunal a considéré que les clauses relatives aux délais de paiement, étaient rédigées de telle manière que les prestations rendues par le distributeur étaient payables par acompte, et donc avant leur réalisation, alors que les factures des fournisseurs afférentes à la vente de produits étaient payables dans un délai de 30 ou 60 jours à compter de la réception des produits, ce qui créait un déséquilibre de trésorerie au détriment des fournisseurs.
Le Tribunal a donc enjoint Provera de cesser les pratiques consistant à faire figurer les clauses litigieuses dans ses accords avec les fournisseurs, et l’a condamnée au paiement d’une amende civile de 250 000 euros.