Droit de la concurrence et transition écologique dans le secteur agroalimentaire : les orientations de l’Autorité de la concurrence
Le 5 février 2024, l’Autorité de la concurrence a publié des orientations informelles concernant un projet porté par l’association Pour une Agriculture du Vivant (PADV). Ce projet vise à mettre en place un mécanisme de prise en charge collective des surcoûts et des risques associés à la transition agroécologique des exploitations agricoles françaises.
Dans ce contexte, l’Autorité examine la conformité de ce projet avec le droit européen de la concurrence, notamment l’article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui prohibe les ententes anticoncurrentielles, ainsi que l’article 210 bis du règlement OCM du 17 décembre 2013 qui permet, sous certaines conditions, de déroger aux règles de concurrence pour des initiatives visant à améliorer la durabilité du secteur agricole, même si elles restreignent temporairement la concurrence.
Dans ses orientations, l’Autorité fournit une grille d’analyse destinée à aider les acteurs concernés à vérifier que leur projet respecte bien ces conditions et ne fausse pas la concurrence.
1. L’objectif du projet
Le projet proposé repose sur un partenariat entre plusieurs parties prenantes :
- Les agriculteurs engagés dans la transition ;
- L’association PADV, qui fédère les participants ;
- Des entreprises agroalimentaires et du secteur du luxe, prêtes à soutenir l’initiative ;
- Des banques et des assurances, susceptibles de proposer des solutions de financement adaptées ;
- Des collectivités et agences publiques, pouvant apporter une contribution sous forme de subventions.
L’objectif du projet est de mesurer le niveau de transition de chaque exploitation agricole à l’aide d’un indicateur dénommé « indice de régénération », sur une échelle de 100. Selon ce score, les agriculteurs pourraient bénéficier de différentes formes de soutien :
- Des primes de la part des entreprises agroalimentaires ;
- Des subventions publiques ;
- Des offres de financement spécifiques, telles que des crédits ou des assurances adaptées.
À titre d’exemple, une exploitation ayant un score de 40/100 serait considérée comme ayant amorcé sa transition vers une agriculture plus durable.
2. L’analyse de l’Autorité de la concurrence
L’Autorité reconnaît l’intérêt du projet mais veille à ce qu’il respecte les règles du marché. Elle rappelle plusieurs principes clés :
Un accès ouvert et transparent :
L’Autorité souligne que tous les agriculteurs doivent avoir un accès égal et transparent au projet, avec des critères clairs, objectifs et non discriminatoires, sauf à pouvoir être justifiés. L’Autorité insiste sur le caractère volontaire et non exclusif du projet, afin de ne pas empêcher l’émergence d’autres initiatives concurrentes.
Des outils de mesure basés sur des principes scientifiques :
L’évaluation du niveau de transition des exploitations agricoles, à travers l’indice de régénération, doit reposer sur des bases scientifiques solides. L’Autorité insiste sur le fait qu’il ne faut pas imposer un seul modèle, au risque de limiter l’innovation et la diversité des pratiques agricoles.
Une gestion rigoureuse des informations sensibles :
Étant donné que le projet implique la collecte de données sur les exploitations agricoles (rendements, coûts de production, etc.), l’Autorité met en garde contre les risques de collusion si ces informations sensibles sont partagées entre entreprises concurrentes. Un mécanisme de collecte, d’anonymisation et d’agrégation des données, assuré par un tiers indépendant, est donc privilégié.
Un encadrement strict du financement :
Les aides financières (primes, subventions, etc.) doivent correspondre aux besoins réels des exploitations agricoles. L’Autorité recommande également la mise en place d’un suivi ex post afin de s’assurer que les fonds alloués sont utilisés conformément aux objectifs du projet et qu’ils ne génèrent pas de distorsions de concurrence.
Une répartition équitable des bénéfices :
L’Autorité attire l’attention sur le fait que les entreprises partenaires en aval du projet (distributeurs, marques agroalimentaires, etc.) pourraient utiliser les données collectées pour valoriser leur engagement environnemental. Il est impératif que les agriculteurs bénéficient également de cette valorisation et ne soient pas lésés dans la répartition des retombées économiques du projet.
Co-auteur Louis Reghadi Juriste au sein de l’équipe de droit économique