Le principe d’égalité de traitement n’est pas applicable entre salariés d’entreprises différentes, peu important qu’elles appartiennent au même groupe.
Un salarié avait exercé des fonctions dans diverses sociétés du groupe, pour une très grande partie de sa carrière (32 ans). Cependant il avait eu la malchance d’être à la date de référence du 31 décembre 1989 employé par une société qui n’avait pas adhéré au régime. Il avait ensuite été muté à plusieurs reprises dans d’autres sociétés du groupe, adhérentes au régime en question. S’étant vu refuser le paiement de la retraite au motif qu’il ne remplissait pas les conditions (être présent au 31 décembre 1989 dans une entreprise adhérente) il a engagé une action prud’homale en paiement de cette retraite en invoquant, entre autres arguments, le principe d’égalité de traitement avec les autres salariés des autres entreprises du groupe.
Le principe de l’égalité de traitement qu’invoquait le salarié n’est posé qu’incidemment par le Code du travail (notamment par l’article L2261-22 : pour pouvoir être étendue, une convention collective doit contenir des clauses portant sur l’égalité de traitement entre salariés et la prévention des discriminations). C’est la jurisprudence qui en a fait une règle générale et en a précisé les contours. Selon la Cour de cassation la différence de traitement entre les salariés placés dans la même situation doit reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence ».
La cour d’appel de Paris, puis la Cour de cassation, par l’arrêt du 16 septembre 2015, ont donné tort au salarié plaignant d’Arcelor Mittal. La Cour de cassation a posé très clairement que « le principe d’égalité de traitement n’est pas applicable entre salariés d’entreprises différentes, peu important qu’elles appartiennent au même groupe » et qu’en conséquence dans le litige en question « le principe d’égalité de traitement devait s’apprécier au sein de l’entreprise et non par comparaison entre salariés de diverses entreprises du même groupe ».
Dans cette affaire la Cour de cassation a posé le principe de la non-application de la règle d’égalité de traitement de manière très claire, mais elle l’a aussi appliqué de manière particulièrement stricte.
En effet le contentieux portait précisément sur l’application d’un accord de groupe, dont la mise en place démontrait l’intention du groupe de traiter de la même manière tous les salariés du groupe (au moins pour cette question de la retraite). En appliquant strictement les règles posées par l’accord, alors que le salarié plaignant pouvait avoir de nombreuses raisons de penser qu’il bénéficiait du régime de retraite, et en rejetant l’argument sur l’égalité de traitement elle a donné une portée particulièrement nette à son arrêt. Cet arrêt est d’ailleurs « publié au bulletin », ce qui est le plus haut niveau dans la hiérarchisation des arrêts de la Cour de cassation et lui confère donc une portée de principe.
La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion dire que le principe d’égalité de traitement ne s’appliquait pas au sein d’un groupe. Notamment dans un arrêt rendu dans un contexte assez différent (Cass. Soc. 14 septembre 2010, 08-44180). Il s’agissait d’un accord d’entreprise signé par une société du groupe AOM Air Liberté, juste avant le dépôt de bilan, pour accorder des indemnités de licenciement majorées. L’AGS considérait que cet accord avait été conclu en fraude au régime d’assurance de garantie des salaires. La Cour de cassation n’a pas retenu l’argument des salariés qui faisaient valoir que cet accord était justifié par l’égalité de traitement avec les salariés des autres sociétés du groupe AOM Air Liberté, principe qui avait sans doute présidé à la décision de l’employeur de signer cet accord.
Il est intéressant de noter aussi que le principe d’égalité de traitement ne s’applique pas non plus au sein d’une UES (Cass. Soc. 1er juin 2005, 04-42143 : « au sein d’une unité économique et sociale, qui est composée de personnes juridiques distinctes, pour la détermination des droits à rémunération d’un salarié, il ne peut y avoir comparaison entre les conditions de rémunération de ce salarié et celles d’autres salariés compris dans l’unité économique et sociale que si ces conditions sont fixées par la loi, une convention ou un accord collectif commun, ainsi que dans le cas où le travail de ces salariés est accompli dans un même établissement. »
A cet égard on peut relever une décision de la CJUE qui donne une explication ou justification à la limitation au sein de l’entreprise de la portée de la règle. Dans un litige portant sur l’application des dispositions du traité (le principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur), elle a indiqué que les dispositions du traité ne peuvent pas s’appliquer lorsque les différences observées ne peuvent pas être attribuées à une « source unique », car il manque une entité qui est responsable de l’inégalité et qui pourrait rétablir l’égalité de traitement (CJUE, 17 septembre 2002, C-320/00).
Anne CIRET
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