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CA Paris, 2eme Ch, Pôle 5, 26 février 2021, n° RG 18/02093

 

La chaîne de télévision France 3 a diffusé une émission hommage à une humoriste défunte (Sylvie J.). Les ayants-droits de l’humoriste (les consorts V.) ont assigné ladite chaîne de télévision au titre d’une violation du droit moral du droit d’auteur et des droits voisins ainsi qu’une violation du droit patrimonial.

  1. Sur l’atteinte au droit moral de l’auteur

Les ayants-droits de l’humoriste ont estimé être victime d’une violation du droit moral de l’auteur et plus précisément du droit à la paternité.

La majeure partie de leurs demandes ont été déclarés irrecevables, et ce pour deux motifs.

  • D’une part, certaines de ces œuvres sont des œuvres de collaboration et les collaborateurs n’ont pas été appelés à la cause. La Cour fait ici application du principe selon lequel l’œuvre de collaboration est la propriété commune des auteurs et qu’une action ne saurait être engagé sans l’accord de l’ensemble des coauteurs.
  • D’autre part, les consorts V. ne rapportent pas la preuve de la qualité d’auteur de Sylvie J. de deux sketchs visés dans leurs demandes. En effet, l’insertion de ces œuvres dans un recueil de sketch interprété par l’artiste est insuffisante pour déterminer que ladite artiste est également auteur de ces œuvres.

Les Consorts V. ont néanmoins été déclarés recevables dans leur demande à l’égard d’un sketch. Sur cette œuvre, les Consorts V. invoquent le non-respect du droit à la paternité de l’auteur aux motifs qu’à côté du nom de Sylvie J., deux autres auteurs ont été adjoints et ce, à tort. Néanmoins, ils seront déboutés de leurs demandes à ce titre. En effet, la Cour affirme que quand bien même la présence du nom de ces deux autres auteurs comme écrivains de ces sketchs seraient erronée, cette mention n’est pas pour autant attentatoire au droit moral de l’humoriste. Selon la Cour, le fait que ces auteurs travaillaient régulièrement en collaboration ne permet pas de caractériser une telle atteinte. De plus, la Cour retient que Sylvie J., de son vivant, acceptait de voir son nom associé à ceux desdits auteurs et ce, sans aucune distinction de leur qualité respective sketch par sketch.

Ainsi, la Cour d’Appel procède à une application classique des principes du droit d’auteur et exclut toute atteinte au droit moral de l’auteur en recherchant dans un premier temps si la qualité d’auteur est démontrée puis dans un second temps si l’atteinte au droit d’auteur est caractérisée.

  1. Sur l’atteinte au droit moral de l’artiste-interprète

Les Consorts V. estiment que Sylvie J. est victime d’une atteinte sur ses droits moraux en qualité d’artiste-interprète aux motifs que les sketchs ont été largement amputés pour être intégrés dans l’émission. Certains sketchs ont subi jusqu’à 90% de coupure. Selon les demandeurs, de telles coupures ne permettent pas d’apprécier le sens du sketch ni la valeur de l’interprétation.

Sur ce point, la Cour d’appel rappelle que les prérogatives de défense du droit moral des artistes-interprètes ne sont pas entièrement transmises aux héritiers. En effet, conformément à l’article L.212-2 du Code de la propriété intellectuelle, les héritiers sont recevables à agir pour assurer la protection de l’interprétation et de la mémoire du défunt.  Plus précisément, les ayants-droits n’ont pas le pouvoir d’agir dans leur intérêt personnel pour faire respecter l’image qu’ils souhaiteraient donner, mais uniquement dans le seul intérêt de l’interprète disparu.

En l’espèce, la Cour d’appel rappelle que l’objet de l’émission était de rendre hommage à l’artiste. Le choix de présenter un grand nombre d’extrait démontre la richesse du répertoire de l’artiste et ne préjuge nullement de sa qualité. De plus, l’émission a été construite autour d’un fil conducteur qui ne dénature pas les extraits présentés. Enfin, la Cour d’appel retient que l’artiste a de son vivant autorisé ce type d’exploitation de ses interprétations.

Ici, la Cour d’appel de Paris apprécie l’atteinte au droit moral sous le prisme de l’article L.212-2 du Code de la propriété intellectuelle en vertu duquel seule l’atteinte à la mémoire du défunt est pertinente, ce qui n’est pas établi en l’espèce.

  1.  Sur l’atteinte aux droits patrimoniaux de l’artiste-interprète

Par principe, l’artiste-interprète est titulaire du droit d’autoriser ou interdire l’exploitation de ces interprétations. Une telle autorisation emporte le versement d’une rémunération au bénéfice de l’artiste ou de ses ayants-droits. Or, en l’espèce, les Consorts V. relèvent que l’exploitation télévisuelle de ces extraits n’a été autorisée ni par l’artiste, ni les ayants-droits.

La Cour d’appel déboute les Consorts V. d’une partie de leurs demandes au motif que la majeure partie des œuvres exploitées appartiennent au catalogue de l’INA. Or, l’INA bénéficie, par la loi du 30 septembre 1986 n°86-1067, d’une présomption de cession. Cette présomption n’avait pas été combattue par l’artiste de son vivant. Ainsi, aucune contestation à ce titre ne saurait être retenue.

Néanmoins, une partie des œuvres exploitées par la chaîne de télévisions n’appartient pas au catalogue de l’INA. Le reste des œuvres reproduites sont des extraits d’une captation de spectacle de l’artiste. Les demandeurs relèvent que Sylvie J. n’a jamais autorisé l’exploitation télévisuelle de cette captation. Aucune preuve n’est rapportée pour démontrer que l’artiste aurait cédé ses droits à ce titre.

Ainsi, eu égard au prix de cession négocié par le producteur pour l’exploitation du programme, à savoir 180.000 euros, la Cour d’appel estime que l’ indemnisation de 2.000 euros proposée par le producteur est insuffisante à indemniser l’artiste et ses ayants-droits pour ladite exploitation. La Cour d’Appel fixe la rémunération due aux ayants-droits de l’artiste à 6.000 euros.

La Cour d’appel rappelle ici la nécessité pour les exploitants de démontrer qu’ils sont en possession de l’autorisation des ayants-droits pour exploiter les interprétations et la nécessité de rémunérer l’artiste ou ses ayants-droits à ce titre.

Manon Chastel

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