Epuisement des droits d’auteur : L’application de la doctrine du « first sale » par la Cour suprême des Etats-Unis aux copies d’une œuvre protégée légalement fabriquées à l’étranger
Par une décision en date du 19 mars 2013, rendue dans une affaire opposant Mr Kirtsaeng à John Wiley & Sons (éditeur de revues spécialisées, scientifiques et éducatives et de livres), la Cour Suprême des États-Unis a affirmé que la doctrine du « first sale » qui recouvre, avec des différences, la théorie française de l’épuisement des droits s’applique aux copies d’œuvres originales fabriquées à l’étranger. Des œuvres originales étrangères peuvent donc être importées aux Etats-Unis par leur propriétaire légitime et revendues conformément à la loi américaine sans demander l’autorisation du titulaire du droit d’auteur.
En l’espèce, Mr Kirtsaeng, originaire de Thaïlande, s’est installé aux Etats-Unis pour poursuivre ses études. Ayant constaté que les manuels de l’éditeur Wiley & Sons étaient beaucoup plus chers à l’achat aux Etats-Unis que dans son pays d’origine, Mr Kirtsaeng, pour subventionner le coût de ses études, se faisait expédier les versions étrangères des manuels par sa famille pour les revendre sur Ebay. Wiley & Sons a assigné Mr Kirtsaeng en 2008, en faisant valoir que l’importation et la revente de ses livres sans son autorisation étaient illicites alors que Mr Kirtsaeng revendiquait l’application de la doctrine du « first sale ».
En première instance, the District Court a jugé que la doctrine du « first sale » revendiquée par le défendeur ne s’appliquait pas aux œuvres fabriquées à l’étranger. La Cour d’appel a confirmé ce jugement en août 2011, les dommages et intérêts ont été évalués à 600 000$.
L’affaire a été portée devant la Cour suprême des Etats-Unis, la question étant donc de déterminer si l’application de la règle de l’épuisement des droits devait ou non être restreinte aux œuvres distribuées sur le territoire des Etats-Unis avec le consentement du titulaire des droits.
Les industriels s’étaient mobilisés pour limiter l’application géographique de la doctrine du « first sale », ceci afin de pouvoir faire correspondre le prix d’une œuvre protégée aux conditions économiques locales. Les musées au contraire soutenaient la théorie de l’épuisement international.
La Cour suprême a statué en faveur de Mr Kirtsaeng à six voix contre trois considérant qu’il appartenait au Congrès de décider si les titulaires des droits devaient disposer d’un droit spécial leur permettant de diviser les marchés internationaux. D’après l’arrêt, les conséquences d’une décision en faveur de l’éditeur Wiley auraient été désastreuses, ce que la Cour évoque par des exemples choisis illustrant les conséquences d’une stricte application ; la Cour a donc retenu qu’en l’état actuel de la loi, il n’y avait pas de raison légitime qui justifierait qu’une œuvre créée et vendue dans le respect du droit d’auteur américain soit traitée différemment selon que les exemplaires ont été fabriqués aux Etats-Unis ou à l’étranger.
La majorité des juges a donc retenu une approche internationale de la doctrine du « first sale » contrairement à la position adoptée par l’Union Européenne. L’article L. 122-3-1 du CPI, qui consacre en droit d’auteur français le principe de l’épuisement du droit de distribution, ne reconnaît qu’un épuisement européen des droits. L’épuisement ne vise que les exemplaires mis licitement dans le commerce sur le territoire de l’Union européenne, ce qui exclut les exemplaires importés du reste du monde et notamment des États-Unis ou d’Asie.
L’on peut supposer que la position de la Cour Suprême est motivée par l’importance des dommages-intérêts qu’accompagne aux Etats Unis une condamnation pour contrefaçon.
Laurence HUIN