Etiquetage des denrées alimentaires végétales : le Conseil d’Etat annule les deux décrets interdisant l’usage de termes de boucherie, de charcuterie et de poissonnerie.

Aux termes de deux décisions rendues le 28 janvier 2025, le Conseil d’Etat prend acte de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européen (CJUE) du 4 octobre 2024 (affaire C-438/23) et annule, en raison de leur non-conformité au droit européen, les décrets n° 2022-947 du 29 juin 2022 et n° 2024-144 du 26 février 2024 (Décisions du 28 janvier 2025, nos 465835, 467116, 468384 et n° 492839).

Pour rappel, ces deux décrets interdisaient l’emploi de noms usuels ou descriptifs, constitués de termes issus des secteurs de la boucherie, de la charcuterie et de la poissonnerie (tels que « steak », « filet », « saucisse » ou « jambon », par exemple), pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées comportant des protéines végétales.

Plusieurs entités actives dans le secteur des produits végétariens et végétaliens avaient contesté ces décrets devant le Conseil d’Etat. L’application de ces décrets avait à chaque fois été suspendue par le juge des référés du Conseil d’Etat (Décision du 27 juillet 2022, n° 465844 ; Décision du 10 avril 2024, n° 492844).

Par ailleurs, dans le cadre de la demande d’annulation du décret n° 2022-947, le Conseil d’Etat avait sursis à statuer et renvoyé à la CJUE plusieurs questions préjudicielles en juillet 2023 portant sur l’interprétation du règlement (UE) n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires (le « Règlement INCO »), règlement sur la base duquel les parties requérantes sollicitaient l’annulation des décrets (Décision du 12 juillet 2023, n° 465835).

Aux termes de l’arrêt du 4 octobre 2024 précité, la CJUE avait jugé que la règlementation européenne harmonisait de manière complète la question de la protection des consommateurs du risque d’être induits en erreur par l’utilisation de dénominations usuelles ou descriptives et s’opposait en conséquence à ce que les États membres puissent, de leur côté, édicter des mesures nationales qui réglementent ou interdisent l’usage de noms usuels ou descriptifs, autres que des dénominations légales, pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales.

Autrement dit, l’Etat français ne pouvait pas empêcher les producteurs de produits végétaliens et végétariens d’utiliser, pour désigner leurs produits composés de protéines végétales, des noms usuels ou descriptifs tels que « steak », « saucisse », « jambon » ou « bacon » par exemple, dès lors que ces termes ne constituent pas des dénominations légales réglementées.

Prenant acte de cette décision, le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord l’article de loi sur le fondement duquel les deux décrets ont été pris, à savoir l’article L. 412-10 du code de la consommation, selon lequel  » les dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d’origine animale ne peuvent être utilisées pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires comportant des protéines végétales. Un décret fixe la part de protéines végétales au-delà de laquelle cette dénomination n’est pas possible. Ce décret définit également les modalités d’application du présent article et les sanctions encourues en cas de manquement « 

Ensuite, le Conseil d’Etat retient que « s’il eût été loisible au législateur, d’une part, d’interdire l’utilisation de  » dénominations légales « , au sens (…) du règlement (UE) n° 1169/2011, déjà réservées aux seules denrées alimentaires d’origine animale ou, d’autre part, d’instituer de telles dénominations, aux fins d’interdire l’utilisation de ces dénominations pour désigner des denrées alimentaires comportant des protéines végétales, il résulte des dispositions de l’article L. 412-10 du code de la consommation, éclairées par les travaux parlementaires préparatoires (…), que le législateur a exclusivement entendu encadrer l’utilisation de  » noms usuels  » ou de  » noms descriptifs « , au sens du règlement (UE) n° 1169/2011, pour désigner des denrées alimentaires à base de protéines végétales ».

Le Conseil en déduit que l’article L. 412-10 du code de la consommation a été adopté en méconnaissance de l’harmonisation expresse de la règlementation européenne.

En conséquence, le Conseil d’État juge que les décrets du 29 juin 2022 et du 26 février 2024 pris pour l’application de dispositions législatives contraire au droit de l’UE sont privés de base légale et en prononce l’annulation.

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Ces deux décisions mettent ainsi un terme à la saga juridique qui opposait les acteurs de l’industrie végétarienne et vegan au gouvernement français.

Ces décisions permettent également de mettre fin à l’insécurité juridique dans laquelle se trouvait les producteurs de produits végétaux depuis 2022 concernant la dénomination des produits qu’ils commercialisaient.

Pour en savoir plus sur l’historique de cette affaire, n’hésitez pas à consulter nos précédents articles écrits sur le sujet :