La Cour de cassation n’a cessé de renforcer l’application de l’article 1843-4 du Code civil au delà des cas expressément prévus par la loi, ruinant progressivement la possibilité pour les parties de prévoir contractuellement entre elles la fixation d’un prix de cession de parts ou d’actions, ou d’un prix de rachat (cas de retrait ou d’exclusion d’un associé).
Rappelons que cet article 1843-4 du Code civil dispose que « dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible. »
Ainsi en 2007[1], la Cour de Cassation a tout d’abord fait prévaloir la fixation du prix de rachat des parts d’un associé exclu par un expert désigné en application de l’article 1843 – 4 du Code civil sur la fixation du prix de rachat déterminée par les statuts de la société civile de cet associé exclu.
Cependant, la Cour de cassation se montrait moins intransigeante – bien qu’hésitante – sur l’application impérative de l’article 1843-4 du code civil aux promesses de cession de parts sociales ou d’actions lorsque le prix de cession était déterminé ou du moins déterminable selon les dispositions fixées par les parties.
Ainsi, par un arrêt de 2009[2], la Cour de Cassation admettait que l’article 1843-4 ne s’appliquait pas à des promesses de cession de parts sociales en cas de cessation de leurs fonctions de gérants ou de salariés dès lors que le bénéficiaire de ces promesses, à la suite de la démission des promettants de leurs fonctions, avait exercé son droit d’acquérir les parts sociales promises (« levée d’option ») et que le prix de cession, non déterminé mais déterminable selon les modalités fixées par ces promesses, n’avait fait l’objet d’aucune contestation avant la levée d’option.
Après un temps d’hésitation[3], un arrêt de la Cour de Cassation en date du 26 février 2013 venait conforter cette inapplication de l’article 1843-4 du code Civil aux promesses de cession convenues pour un prix déterminable.
En l’espèce, deux associées s’étaient engagées par une promesse de vente en date du 18 mai 2006 à céder leurs parts sociales à plusieurs bénéficiaires non associés pour un prix en partie fixe et en partie variable en fonction d’un bilan de cession devant être établi dans les 3 mois de la date de la cession et certifié par un cabinet d’expertise comptable. Le 18 juillet 2006, les deux associés cédaient leurs parts sociales. Mais le moment venu, les deux associés refusaient le prix de cession définitif de cession découlant du bilan de cession établi par le cabinet d’expertise comptable et demandaient la fixation du prix de cession par un expert en application de l’article 1843-4 du Code civil.
La Cour de Cassation rejetait cette demande au motif que « après avoir relevé que la cession avait été conclue le 18 juillet 2006 et que son prix était déterminable, la cour d’appel a exactement retenu, dès lors que la cession n’entrait dans aucun des cas prévus par l’article 1843-4 du code civil, que les dispositions de ce texte n’étaient pas applicables».
La Cour de Cassation se montre désormais encore plus explicite dans un arrêt rendu le du 11 mars 2014 à propos d’une promesse ferme et irrévocable (contenue dans une « convention d’actionnaires ») des dirigeants d’une société de céder à leur valeur nominale une partie de leurs actions à cette société en cas de démission ou en cas de révocation de leur mandat pour faute grave (« bad leaver »).
A la suite de la révocation pour faute grave des mandats de Directeur Général et d’Administrateur d’un actionnaire, la société Crocus Technology s’était prévalue de cette promesse mais le dirigeant révoqué avait demandé et obtenu de la Cour d’Appel de Grenoble que le prix de cession de ses actions soit fixé par un expert en l’application de l’article 1843-4 du Code civil. La Cour de Cassation casse cette décision de la Cour d’Appel de Grenoble en écartant lapidairement l’application de l’article 1843-4 du Code civil au motif que les dispositions de cet article « qui ont pour finalité la protection des intérêts de l’associé cédant, sont sans application à la cession de droits sociaux ou à leur rachat par la société résultant de la mise en œuvre d’une promesse unilatérale de vente librement consentie par un associé ».
L’intervention d’un expert pour la détermination du prix de cession de parts sociales ou d’actions prévue par une promesse de vente semble donc désormais exclue, et la détermination du prix de cession par les seules dispositions stipulée par cette promesse acquise.
On peut cependant s’interroger sur la portée de cet arrêt du 11 mars 2014 :
– cette éviction de la détermination du prix de cession par expert s’étend-elle au cas où la détermination de ce prix est fixée non par des promesses ou un pacte d’associés mais par les statuts d’une société, ceci au motif que les statuts d’une société s’imposent à un associé plutôt qu’il n’y consent « librement », pour reprendre le terme de la Cour de Cassation ? si la législation applicable aux sociétés par actions simplifiée permet aux statuts de fixer un prix de cession sans recours à un expert[4], le doute subsiste pour les autres formes de sociétés (principalement les SARL et les SA).
– lorsqu’une promesse de cession ou un pacte prévoient expressément le recours à l’expert visé à l’article 1843-4 du Code civil pour la fixation du prix de cession, l’expert devra t’il tenir compte des modalités de calcul et de détermination du prix dont les parties ont pu convenir par cette promesse ou par ce pacte ?
Ces questions devraient recevoir une réponse prochainement. En effet, la loi du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprise autorise le gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure afin de modifier l’article 1843-4 du Code civil pour assurer le respect par l’expert des règles de valorisation des droits sociaux prévues par les parties.
Laurent Thomas
[1] Cour de Cassation, chambre commerciale, 4 décembre 2007, M. Quilliard c/ société Arues (pourvoi n° 06-13912) et Mme Kienast et M. Jacqmin c/ société Arues (pourvoi n° 06-13913).
[2] Cour de Cassation, chambre commerciale, 24 novembre 2009, M. Trehu c/ Norauto (pourvoi n° 08-21369.
[3] A propos d’une « charte d’associés », assimilable à un pacte d’associés ou d’actionnaires, qui comportait également une promesse de cession d’actions consentie à des conditions similaires à celles de l’arrêt de la Cour de Cassation de 2009 et pour un prix déterminable : la Cour de Cassation cassait l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris qui avait refusé au promettant le droit d’invoquer le bénéfice de l’article 1843-4 du Code civil au motif qu’il n’avait pas été expressément convenu par les parties, en cas de désaccord sur le prix, de désigner un expert pour déterminé ce prix (Cour de Cassation, chambre commerciale, 4 décembre 2012, Chenin SA c/ Comptafrance, pourvoi n° 10-16280).
[4] Article L 227-18 du Code de commerce : « Si les statuts ne précisent pas les modalités du prix de cession des actions lorsque la société met en œuvre une clause introduite en application des articles L. 227-14 [refus d’agrément d’une cession d’actions], L. 227-16 et L. 227-17 [cas de l’exclusion d’un associé dans les conditions déterminées par les statuts, notamment en cas de changement de contrôle d’un associé], ce prix est fixé par accord entre les parties ou, à défaut, déterminé dans les conditions prévues à l’article 1843-4 du code civil.