Fusion et transfert de déficit sur agrément : du réalisme dans l’appréciation du maintien de l’activité
CE, 9e et 10e ch. réunies, 17 octobre 2023, n° 464667, Sté Metalic
Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 17/10/2023, 464667 – Légifrance (legifrance.gouv.fr)
Dans une opération de fusion, la société absorbée perd en principe le droit au report de ses déficits fiscaux, en vertu du principe d’identité d’entreprise pour pouvoir les imputer.
La loi de finances pour 2020 a en dernier lieu assoupli le régime du transfert des déficits fiscaux- jusque-là exclusivement sur agrément : la société absorbante bénéficie désormais du transfert de plein droit des déficits de la société absorbée dans une limite de 200 000 €, à condition que la société absorbée n’ait pas cédé ou cessé l’exploitation d’un fonds de commerce au cours de la période déficitaire et que les montants transférés ne proviennent pas de la gestion du patrimoine financier d’une société holding ou d’un patrimoine immobilier (CGI art. 209, II-2).
Mais c’est sur le terrain du transfert sur agrément des déficits que l’on voit émerger une jurisprudence longtemps restée confidentielle. Depuis que l’agrément est devenu de droit, le juge se trouve régulièrement saisi de recours en excès de pouvoir relatifs à l’appréciation portée par l’administration sur les dossiers qui lui sont soumis. En effet, l’agrément est de droit lorsque :
- l’opération est placée sous le régime de faveur des fusions, qu’elle est justifiée du point de vue économique, que les déficits ne proviennent pas de la gestion d’un patrimoine mobilier de société holding ou de la gestion d’un patrimoine immobilier ; et
- la société absorbante s’engage à ce que l’activité à l’origine des déficits soit poursuivie pendant un délai minimum de trois ans, sans faire l’objet, pendant cette période, de changement significatif apprécié selon les modalités décrites ci-dessous ; et
- l’activité à l’origine des déficits n’a pas subi de changements significatifs (appréciés au moyen de critères relatifs à la clientèle, à l’emploi, aux moyens d’exploitation mis en œuvre, ainsi qu’à la nature et au volume d’activité) pendant la période de constatation des déficits (article 209,II-b du CGI).
Un arrêt récent (CE, 17/10/2023, n° 464667) illustre une lecture économique réaliste de ces dispositions par le Conseil d’Etat, qui a également confirmé que l’agrément peut être accordé sur une fraction seulement des déficits, précision fort intéressante en pratique.
En substance, il a été jugé que la baisse de recettes de la société (qui étaient passées de 1,6 M € en 2011 à 288 K € en 2016) et des effectifs (au nombre de 25 en 2011 et de 7 en 2016) ne suffit pas seule à caractériser un changement significatif de l’activité, le Conseil d’État reprochant à l’administration, au tribunal et à la cour d’appel de ne pas avoir pris en compte l’ensemble des éléments caractérisant l’activité de la société au cours de la période et le contexte économique dans lequel ces évolutions en termes de chiffre d’affaires et d’effectifs s’inscrivaient. La société soutenait, en effet, sans être contredite, que la diminution très importante du chiffre d’affaires et de l’effectif salarié résultait de la réorganisation de l’activité industrielle de la société absorbée autour des clients les plus rentables afin de maintenir l’activité en période de crise. Il ressort aussi de la décision que, durant cette période, les moyens d’exploitation sont restés stables et que les emplois maintenus, très spécialisés, ont permis la poursuite de l’activité industrielle de fonderie gravitaire.
Dans une espèce aux circonstances relativement proches, le Conseil d’État avait pourtant approuvé la qualification défavorable des faits retenue par une cour d’appel qui avait jugé que la baisse prononcée du chiffre d’affaires et la circonstance que la société n’employait plus aucun salarié étaient constitutives d’un changement significatif de son activité (CE 9-6-2020 n° 436187). Néanmoins, un examen minutieux de cette décision laisse penser qu’une argumentation différente de la part de la société requérante aurait peut-être abouti à une autre conclusion. En effet, le Conseil d’Etat soulignait que « la circonstance que l’activité à l’origine des déficits ait été en tout ou partie transférée par anticipation, avant l’opération de fusion, à la société qui la poursuit et demande à ce titre le transfert des déficits qui y trouvent leur origine, ne saurait être regardée comme un changement significatif d’activité justifiant le refus de l’agrément sollicité », mais ilindique ensuite que la société avait renoncé à faire valoir cet élément en cause d’appel.
Peu après cette décision de 2020, un arrêt cette fois favorable a été rendu dans une affaire où la suppression des emplois directs et la forte diminution des moyens d’exploitation avaient été nécessaires pour permettre le maintien du volume de l’activité de vente de produits agricoles à l’origine des déficits, circonstances qui ont amené le Conseil d’Etat à conclure à une absence de changement significatif de l’activité (CE 02/04/2021, n° 429319). Il ressort des pièces du dossier que l’activité de l’entreprise était assurée soit par du personnel mis à sa disposition par d’autres sociétés du groupe auquel appartenait la société absorbante soit par ces sociétés elles-mêmes, que la diminution de son actif brut corporel a résulté d’une externalisation auprès d’une société du groupe spécialisée dans le transport et que la société absorbée a également, au cours de la même période, poursuivi l’exploitation de son unique établissement, loué un entrepôt de stockage destiné à son activité de vente de produits d’agrofournitures, et utilisé, au soutien de son activité de collecte et de vente de produits agricoles, un silo céréalier détenu par une société du groupe.
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A la lumière de l’arrêt qui vient d’être rendu, solliciter un agrément pour le transfert partiel des déficits ressort comme une opportunité parfois a minima. Au titre d’une demande plus large, le sort des effectifs salariés sera toujours un élément décisif, qu’ils puissent être préservés ou que leur ajustement soit démontré comme indispensable au maintien de l’activité transmise. D’autres facteurs (moyens d’exploitation, chiffre d’affaires…) corroboreront ou atténueront selon les cas les conséquences à tirer des variations d’effectifs.