Cet arrêt est le dernier d’une série de condamnations similaires concernant Google Suggest pour des suggestions de recherches portant préjudice à des tiers.
Depuis septembre 2008, le moteur de recherche Google propose aux internautes la fonctionnalité « Google Suggest » qui permet, à partir des premières lettres d’un mot recherché, d’obtenir en temps réel une liste de requêtes possibles, accessibles d’un simple clic.
En l’espèce, une société commerciale reprochait à Google de faire apparaître le terme « escroc » lors de la saisie de sa raison sociale et demandait la suppression des termes litigieux, estimant que « l’association de ces mots constitue une injure publique envers un particulier ».
La Cour retient que le délit d’injure publique est qualifié conformément aux articles 29 alinéa 2 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 puisque :
– les termes étaient mis à disposition du public des internautes, sans aucune restriction de diffusion ;
– l’adjonction du terme « escroc » à la raison sociale de la société est outrageante envers la société « en ce qu’elle la dévalorise et la rabaisse ».
– « aucun fait précis, déterminé n’est renfermé par cette imputation », qualifiant ainsi l’injure et non la diffamation.
Plusieurs décisions avaient été rendues au visa de la loi du 29 juillet 1881 et des qualifications de diffamation (Netcom Octobre 2010, TGI Paris, 8 septembre 2010) ou d’injure (Netcom Août 2009, Ordonnance de référé, TGI Paris, 10 juillet 2009) ou encore sur le fondement de la responsabilité civile de droit commun, (Netcom Août 2009, Ordonnance de référé, TC Paris, 7 mai 2009).
Pour échapper à leur responsabilité, Google et son responsable légal évoquent à nouveau (Netcom Octobre 2010, TGI Paris, 8 septembre 2010) :
– leur bonne foi et leur ignorance, arguments rejetés par la Cour au motif que les appelants avaient parfaitement conscience de la diffusion incriminée puisqu’ils ont répondu à la mise en demeure de la société par une fin de non-recevoir ;
– la liberté d’expression (article 10 de la CEDH), rejetée là encore par la Cour au motif que les textes auxquels renvoient les liens Google ne sont que des commentaires anonymes d’internautes. Dès lors, le fait de « faciliter l’accès à des textes équivalents à de simples prises à partie ne peut bénéficier de la protection de l’article 10 de la CEDH. » ;
– l’automaticité du dispositif mis en œuvre.
La Cour estime en effet que le procédé Google Suggest ne peut bénéficier de l’article 10 de la CEDH. Dans un arrêt du 9 décembre 2009 (CA Paris, 9 décembre 2009, http://www.legalis.net/?page=breves-article&id_article=2804), la Cour avait pourtant pris en compte la possibilité d’une atteinte injustifiée à la liberté d’expression pour substituer à la mesure de suppression ordonnée en première instance (Netcom Août 2009, TC Paris, 7 mai 2009), une obligation d’information des internautes sur le fonctionnement de Google Suggest en page d’accueil.
La Cour refuse de prendre en compte l’automaticité du dispositif Google Suggest à l’instar des décisions rendues jusqu’alors. Pour écarter cet argument, la Cour relève que Google a mis en place une politique visant à exclure les suggestions à caractères pornographiques, violents ou incitants à la haine pour en déduire qu’une « intervention humaine(…) était possible ».
La Cour rappelle que tout chef d’entreprise, « sauf à faire la preuve d’une délégation de ses pouvoirs, est personnellement responsable du contenu informatif que sa société (…) délivre au public ». En l’espèce, le représentant légal de Google a fait le choix d’installer le dispositif qui a rendu possible la diffusion de l’expression litigieuse. Cette fonctionnalité reposant sur une intervention humaine préalable, la fixation est caractérisée et la responsabilité du chef d’entreprise, directeur de la publication, doit être retenue.
Cette décision fait écho à la problématique plus globale du référencement et de ses effets juridiques et économiques. Le Conseil supérieur de la propriété intellectuelle et artistique (CSPLA) a donc décidé de créer une commission spécialisée afin de déterminer dans quelle mesure un moteur de recherche peut être contraint à intervenir sur son algorithme pour éviter qu’il ne conduise notamment à des contenus illicites. On imagine que le CSPLA examinera également sous cet angle, la question corollaire du droit de s’opposer à ce que des données personnelles fassent l’objet d’un traitement automatisé, à travers le référencement.
Laurène HAUGUEL