Inefficacité de l’agrément conditionnel d’une cession d’actions (Cass.com. 17 janvier 2012, n° 09-17212)

Pour soumettre à son agrément la cession des actions de ses actionnaires, une société par actions non cotée doit, en raison de la limitation à la libre cessibilité des actions qu’un tel agrément constitue pour l’actionnaire désireux de quitter la société, prévoir une clause statutaire conforme aux conditions prévues par les articles L 228-23[1] et L 228-24[2] du Code de Commerce.

Parallèlement, afin de protéger les intérêts des autres actionnaires qui par le jeu de cette clause souhaitent contrôler l’entrée au capital de nouveaux actionnaires ou l’équilibre de la répartition de leurs participations, l’article L. 228-23 précité rend nulle toute cession d’actions effectuée en violation de la  clause statutaire d’agrément.

Les conditions d’application de la procédure d’agrément viennent d’être précisées par la Cour de Cassation.

Par un arrêt du 17 janvier 2012 de la chambre commerciale, rendu dans le cadre d’un apport d’actions d’une société anonyme (mais transposable à toute opération que les statuts d’une telle société peuvent prévoir dans le champ d’application de la clause d’agrément), la Cour de Cassation énonce sans aucune ambiguïté, au visa des articles L.228-23 et L.228-24 précités, que :

« si une clause d’agrément est stipulée, l’agrément d’un actionnaire doit être pur et simple de sorte que les conditions posées par l’organe social habilité à autoriser la cession sont réputées non écrites. »

Par suite, les juges du fond (Cour d’Appel de Versailles 17 septembre 2009) ne pouvaient déclarer nul, par application de l’article L. 228-23 du Code de Commerce, un apport d’actions fait à une société, au motif que les conditions (en l’espèce, la signature préalable de divers accords) auxquelles le Conseil d’Administration avait soumis son agrément de cet apport n’avaient pas été réalisées.

La société qui subordonne son agrément d’une cession d’actions à certaines conditions ne peut donc escompter voir son agrément anéanti en cas de non réalisation de ces conditions.

Autrement dit, l’agrément sous conditions ne peut valoir, en cas de défaillance de ces conditions, refus d’agréer.

Le refus d’agrément doit, en effet, satisfaire aux conditions strictes de l’article L.228-24 du Code de Commerce :

– notification du refus d’agrément dans les trois mois de la demande d’agrément (à défaut,  l’agrément serait réputé acquis) ;

– obligation de rachat des actions, dans les trois mois de cette notification : obligation pour la société de faire acquérir les actions dont la cession n’a pas été agréée, par un actionnaire, par un tiers ou par elle-même au moyen d’une réduction de capital.

Ce refus, qui contraint la société à racheter ou faire racheter les actions, ne peut donc être tacite, contrairement à l’agrément qui, hors le cas d’une notification, peut résulter du défaut de réponse de la société dans les trois mois de la demande d’agrément ou du défaut de rachat des actions dans les trois ou six mois de la notification du refus d’agrément ci-dessus[3].

La décision de ne pas agréer une cession d’actions doit résulter d’une volonté claire, laquelle, par définition, ne saurait se déduire du défaut des conditions qui subordonnent l’agrément.

Ce raisonnement serait-il transposable à la SAS ?

On sait que le régime légal particulier de la SAS laisse aux statuts une liberté que ne connaît pas la SA et que, sauf les dispositions particulières qui régissent les agréments des cessions d’actions des SAS[4], aucune disposition légale propre à la SAS ne traite de la procédure d’agrément en elle-même, ce dont on déduit généralement que les statuts de ces sociétés peuvent déroger à la procédure légale d’agrément prévue à l’article L.228-24.

Pourtant, le régime particulier de la SAS  n’écarte pas l’application des articles L.228-23 et L.228-24 et renvoie aux règles concernant les SA si elles sont compatibles avec les dispositions particulières qui régissent la SAS[5]. Il nous semble à cet égard que l’article L.228-24, qui d’ailleurs concerne les  sociétés par actions de manière générale, reste « compatible » avec l’article L.227-14 (cf. note 4) qui, à notre avis, ne rend libre que le champ d’application de la clause d’agrément, sans pour autant rendre également libres les conditions de l’agrément.

Dès lors, l’arrêt de la Cour de Cassation devrait sans doute pouvoir se transposer aux SAS auxquelles la procédure de l’article L.228-24 s’appliquerait expressément (les statuts calquant la procédure d’agrément sur celle de l’article L.228-24) ou implicitement (notamment en cas de silence des statuts sur les conditions d’obtention de l’agrément).

Mais, ne devrait-on pas plus généralement en déduire, eu égard à la force de l’attendu de la Cour de Cassation, que la restriction à la libre cessibilité des actions qu’induit toute procédure d’agrément ne peut, par principe, laisser d’autre choix que d’agréer ou de ne pas agréer … purement et simplement ?

 

Katia MARDESIC

30 mars 2012.



[1] Art. L.228-23 C.Com. :

« Dans une société dont les actions ne sont pas admises aux négociations sur un marché réglementé, la cession d’actions ou de valeurs mobilières donnant accès au capital, à quelque titre que ce soit, peut être soumise à l’agrément de la société par une clause des statuts.
Une clause d’agrément ne peut être stipulée que si les titres sont nominatifs en vertu de la loi ou des statuts.
Cette clause est écartée en cas de succession, de liquidation du régime matrimonial ou de cession, soit à un conjoint, soit à un ascendant ou à un descendant.
Les dispositions de l’alinéa précédent ne sont pas applicables lorsqu’une société dont les actions ne sont pas admises aux négociations sur un marché réglementé réserve des actions à ses salariés, dès lors que la clause d’agrément a pour objet d’éviter que lesdites actions ne soient dévolues ou cédées à des personnes n’ayant pas la qualité de salarié de la société.
Toute cession effectuée en violation d’une clause d’agrément figurant dans les statuts est nulle. »

[2] Art. L.228-24 C.Com. :

« Si une clause d’agrément est stipulée, la demande d’agrément indiquant les nom, prénoms et adresse du cessionnaire, le nombre des titres de capital ou valeurs mobilières donnant accès au capital dont la cession est envisagée et le prix offert, est notifiée à la société. L’agrément résulte, soit d’une notification, soit du défaut de réponse dans un délai de trois mois à compter de la demande.

Si la société n’agrée pas le cessionnaire proposé, le conseil d’administration, le directoire ou les gérants, selon le cas, sont tenus, dans le délai de trois mois à compter de la notification du refus, de faire acquérir les titres de capital ou valeurs mobilières donnant accès au capital, soit par un actionnaire ou par un tiers, soit, avec le consentement du cédant, par la société en vue d’une réduction du capital. A défaut d’accord entre les parties, le prix des titres de capital ou valeurs mobilières donnant accés au capital est déterminé dans les conditions prévues à l’article 1843-4 du code civil. Le cédant peut à tout moment renoncer à la cession de ses titres de capital ou valeurs mobilières donnant accès au capital. Toute clause contraire à l’article 1843-4 dudit code est réputée non écrite.

Si, à l’expiration du délai prévu à l’alinéa précédent, l’achat n’est pas réalisé, l’agrément est considéré comme donné. Toutefois, ce délai peut être prolongé par décision de justice à la demande de la société.

[3] Art. L.228-24 C.Com.

[4] Cf. art. L.227-14 qui permet de soumettre à agrément toute cession d’actions ;  art. L.227-15 qui rend nulle toute cession effectuée en violation des clauses statutaires ; art. L.227-18 qui prévoit, si les statuts ne l’ont pas précisé, la fixation du prix par accord entre les parties ou à défaut par l’expert de l’article 1843-4 du Code civil ; l’art. L.227-19 qui exige l’unanimité pour l’introduction ou la modification d’une clause d’agrément.

[5] Art L.227-1, alinéa 3 C.Com.:

« Dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières prévues par le présent chapitre, les règles concernant les sociétés anonymes, à l’exception des articles L. 224-2, L. 225-17 à L. 225-126, L. 225-243 et du I de l’article L. 233-8, sont applicables à la société par actions simplifiée. Pour l’application de ces règles, les attributions du conseil d’administration ou de son président sont exercées par le président de la société par actions simplifiée ou celui ou ceux de ses dirigeants que les statuts désignent à cet effet