Cour d’appel de Paris, Pôle 1, chambre 2, 14 juin 2018
La Cour d’appel de Paris confirme l’interdiction de diffusion d’un reportage d’information portant atteinte à la présomption d’innocence et à la vie privée d’un individu, qui avait été ordonnée par le juge des référés.
En l’espèce, des journalistes avaient réalisé un reportage consacré au harcèlement, au cours duquel le dirigeant d’une société était gravement mis en cause par une ancienne salariée, qui avait porté plainte à son encontre pour des faits de harcèlement.
Le dirigeant et la société avaient saisi le juge des référés, afin que ce dernier :
– ordonne la communication aux fins de visionnage du reportage,
– renvoie l’affaire à une audience ultérieure, afin qu’il puisse se prononcer sur d’éventuelles mesures d’interdiction de diffusion, dans le cas où le reportage porterait atteinte à la présomption d’innocence et la vie privée du dirigeant, ainsi qu’à l’image, la marque et la réputation de la société.
Par une première ordonnance, le Président du tribunal de grande instance de Paris avait fait droit à la demande de visionnage du reportage. Par une seconde ordonnance, après visionnage du reportage, il avait interdit la diffusion du reportage en l’état et demandé que certaines références, clichés et images soient supprimés.
La Cour d’appel confirmer cette ordonnance et l’interdiction de diffusion du reportage.
Tout d’abord, la Cour d’appel confirme la recevabilité de l’action de la société du dirigeant, en jugeant que dès lors qu’il s’agit de faits de harcèlement sexuel, « tout abus dans la liberté d’expression, et notamment toute atteinte à la présomption d’innocence du dirigeant à ce titre est indiscutablement de nature par ricochet à porter atteinte à l’image de la marque et à créer un préjudice à la société intimée ».
Ensuite, la Cour d’appel confirme que le reportage porte bien une atteinte à la présomption d’innocence du dirigeant car :
– la majeure partie du reportage donnait la parole à la personne à l’origine de la plainte, qui désignait le dirigeant comme étant l’auteur des faits, mais aussi à son conseil, la plainte de la victime étant même présentée à l’écran ;
– la voix-off du reportage présentait la personne à l’origine de la plainte comme « une femme brisée » et une « victime ».
La Cour d’appel estime donc que le reportage contient « en creux des conclusions définitives sur le statut d’auteur du dirigeant et donc sur sa culpabilité ». Les juges d’appel estiment qu’il ne peut être fait grief au dirigeant « d’avoir refusé de se soumettre à une sorte de contradictoire en refusant de participer au reportage », alors que cette circonstance avait parfois été prise en compte pour apprécier le bien-fondé de la demande de communication d’un reportage avant diffusion.
La Cour confirme également l’ordonnance en ce qu’elle a estimé que « la lecture pendant le reportage de messages à connotation sexuelle attribués au dirigeant portait atteinte au respect dû à sa vie privée ». La Cour précise que le dirigeant ne pouvait se voir opposer le droit à l’information (le dirigeant, bien que disposant d’une certaine notoriété, n’étant pas un personnage public), ni le fait que l’affaire judiciaire en cours avait déjà été évoquée dans la presse (étant précisé que le contenu des SMS, dont il était fait lecture dans le reportage, n’avait jamais été divulgué).
La Cour conclut enfin en précisant que les mesures décidées par le juge des référés (c’est-à-dire le visionnage du reportage et son interdiction de diffusion en l’état) « font la juste balance entre la préservation de la liberté d’expression sur un sujet d’intérêt général sur lequel il est légitime de donner une information au public et les droits des parties intimées en ordonnant les mesures propres à permettre la diffusion du reportage sans que ces dernières soient identifiables et n’entrainent pas de violation des dispositions de la convention européenne des droits de l’homme et notamment de son article 10 ».
Une telle mesure d’interdiction de diffusion d’un reportage d’information, prise sur le fondement de l’article 809 du Code de procédure civile, est rare, et ne peut être ordonnée en référé que :
– lorsque la violation invoquée aux droits de la personnalité n’est pas purement éventuelle,
– et si le péril est suffisamment constitué et manifeste pour constituer un commencement de preuve d’un abus dans la liberté d’expression.