Interdiction de vente sur internet dans le secteur du luxe : l’Autorité de la concurrence y apporte un éclairage précieux

L’Autorité de la concurrence (ci-après « l’ADLC ») a sanctionné Mariage Frères et Rolex pour avoir empêché leurs distributeurs de revendre leurs produits en ligne[1].

Les deux entreprises susmentionnées avaient prévu une telle interdiction dans leurs documents contractuels (CGV pour Mariages Frères, contrat de distribution sélective pour Rolex).

Elles ont tenté (en vain) de justifier cette interdiction de vente en ligne par les arguments suivants :

  • Mariage Frères a soutenu que l’interdiction de vente sur internet se justifiait par la préservation de l’image de ses produits ; et
  • Rolex a soutenu le même argument en précisant par ailleurs que cette interdiction lui permettait aussi (i) de lutter contre la contrefaçon et les réseaux parallèles, (ii) d’éviter des problèmes en termes d’image, de sécurité lors de l’envoi à distance ou encore des problèmes liés au délai de rétractation, et (iii) de garantir aux consommateurs un environnement d’achat satisfaisant.  

Toutefois, concernant les arguments de Mariage Frères, l’ADLC a relevé que :

  • Cette dernière ne s’organisait pas en un réseau de distribution sélective et ne respectait pas de critères qualitatifs spécifiques permettant le contrôle de la vente sur internet ; et
  • En outre, bien que Mariage frères ait modifié ses CGV en prévoyant une autorisation préalable de vente sur internet et un contrat distinct pour ce canal de vente, il n’y a pas eu de conclusion effective de ce type de contrat et ce en dépit des demandes formulées en ce sens de la part de plusieurs distributeurs.
  • Ainsi, Mariage Frères s’accordait une exclusivité des droits de vente à distance et de vente sur internet.

S’agissant des arguments de Rolex, l’ADLC a noté notamment que :

  • Rolex avait réussi à mettre en place avec ses distributeurs des outils/critères permettant de présenter en ligne les produits Rolex dans un environnement qui correspond aux conditions qualitatives convenues avec ses distributeurs agréés. Par conséquent, l’objectif de préservation d’image de marque pouvait être atteint autrement qu’en neutralisant la possibilité de vendre en ligne ;
  • Les principaux concurrents de Rolex sont aussi confrontés à ces mêmes problématiques et avaient trouvé des solutions qui permettaient (i) de concilier vente en ligne et lutte contre la contrefaçon et la vente hors réseau, notamment avec des technologies « au service de la reconnaissance et de la traçabilité des produits originaux » et (ii) de pallier ces problèmes logistiques ;
  • L’interdiction en question n’apparaissait donc pas proportionnée et non objectivement justifiée.

Au regard de ce qui précède, l’ADLC a prononcé des sanctions financières à hauteur de 91 600 000 euros à l’encontre de Rolex et de 4 000 000 euros à l’encontre de Mariage Frères.

Il importe néanmoins de préciser concernant Mariage Frères que cette sanction a été prononcée au titre de deux griefs, dont le second consistait à interdire de revendre ses produits à d’autres revendeurs.

Ces deux décisions apportent un éclairage très utile sur la position actuelle de l’Autorité concernant les arguments relatifs à la contrefaçon, à l’image de marque et à la lutte contre les reventes hors réseau.

On en retient notamment l’invitation faite aux entreprises concernées de voir quelles solutions ont trouvé leurs concurrents dans le cadre de l’auto-évaluation qu’elles doivent faire de leurs pratiques relatives à la vente sur internet.


[1] Décision n°23-D-13 du 19 décembre 2023 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de montres de luxe ; Décision n°23-D-12 du 11 décembre 2023 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des thés de luxe