Par jugement en date du 27 janvier 2009, le Tribunal de Grande Instance de Paris avait fait droit aux demandes du compositeur d’une chanson de variétés des années 80 en prononçant la résiliation des contrats de cession et d’édition aux torts de l’éditeur et en octroyant au compositeur 50.000 € en réparation de son préjudice patrimonial et 8.000 € au titre de son préjudice moral.
Aux termes d’une décision très motivée, la Cour d’Appel de Paris, a au contraire considéré que les manquements reprochés à l’Editeur dans l’exécution des ses obligations contractuelles n’étaient pas établis et que la demande de résiliation des contrats de cession et d’édition d’œuvres musicales n’était donc pas fondée.
Après avoir très clairement rappelé la définition du contrat d’édition et les obligations corrélatives de l’éditeur ainsi que les termes des contrats litigieux, la Cour d’appel a successivement examiné chacun des griefs au regard des arguments de l’Editeur et du rapport d’expertise.
1. Concernant l’obligation d’exploitation de l’œuvre :
(i) S’agissant de l’édition graphique : Le compositeur reprochait à l’Editeur de n’avoir vendu aucun exemplaire de la partition « seule » entre les années 1990 et 2000.
Cependant, après avoir souligné que plus de 3.980 exemplaires de ladite partition avaient été vendus entre 1987 et 2003, la Cour a également constaté que des recueils de partition ont été vendus régulièrement et constamment sur chaque année de la période litigieuse et a par ailleurs clairement énoncé, en s’appuyant sur le rapport d’expertise, que « les partitions de l’œuvre seule se vendent surtout en début d’exploitation au moment où l’œuvre connait son plein succès, la clientèle manifestant ensuite, à moyen terme, une préférence pour les recueils de partition regroupés par thème ou par genre ».
En outre, l’Editeur démontrait que le stock de partitions de la chanson détenu par les détaillants était suffisant pour répondre aux demandes de la clientèle et il justifiait par ailleurs avoir proposé la partition de l’œuvre « seule », à la vente, sur un site de commerce en ligne de partitions musicales.
La Cour a déduit de ces éléments que l’exploitation graphique de l’œuvre a été permanente et suivie et que la carence invoquée de ce chef à l’encontre de l’Editeur n’était pas démontrée.
(ii) S’agissant des actions promotionnelles et des exploitations dérivées : La Cour a rappelé les exploitations publicitaires relevées par l’expert (au nombre de 7) ainsi que les propositions de l’Editeur auprès de publicitaires ou de réalisateurs de cinéma et les diligences de ce dernier ayant abouti à la synchronisation de l’œuvre dans la bande son d’une œuvre cinématographique en 2003 et dans un clip publicitaire pour un assureur.
En outre, il a été rappelé que l’Editeur avait contribué à la production d’une vidéo-musique (à hauteur de 50.000 Francs) lors du lancement de la chanson.
Enfin, la Cour a considéré qu’il ne pouvait « être reproché à la société éditrice de n’avoir pas engagé ultérieurement d’autres investissements de même nature alors qu’aucun élément ne permet de retenir, compte tenu de la diminution de l’intérêt du public pour les chansons de variété passé les premières années de succès, que ces investissement auraient généré en retour des bénéfices proportionnés ».
La Cour en a déduit que l’Editeur avait agi conformément aux usages de la profession pour assurer la promotion de l’œuvre et pour permettre des exploitations dérivées.
(iii) S’agissant de l’exploitation phonographique : Le compositeur faisait valoir que cette exploitation s’était considérablement développée à partir du moment où il l’avait assurée lui-même par le biais de sa société.
Sur ce point, la Cour fait observer que la différence mise en exergue par le compositeur « ne suffit pas à démonter le « manque de dynamisme » dont il fait grief à [l’Editeur] dès lors qu’il n’est pas contesté, par ailleurs (…) que la chanson a connu un renouveau dans les années 2000 » à la suite de son exploitation, initiée par l’Editeur, dans un film cinématographique et une publicité.
Pour les exploitations phonographiques à l’étranger, la Cour a relevé, en s’appuyant sur les pièces produites et le rapport d’expertise, que l’étendue géographique de l’exploitation était identique à celle observée pour de grands titres de la chanson française et que l’œuvre avait fait l’objet d’une exploitation régulière à l’étranger de 2002 à 2004 (notamment dans le cadre de vidéogrammes de karaoké et de reprises par des artistes).
Au vu de ces éléments, la Cour a considéré que « l’exploitation phonographique de l’œuvre en France et à l’Etranger a été permanente et suivie et qu’une telle conclusion tirée de la constatation de résultat satisfaisant suffit à justifier de l’exécution par [l’Editeur] de son obligation sans qu’il soit utile de rechercher, à l’instar du Tribunal, si l’éditeur a entrepris des démarches positives ou s’il s’est contenté de répondre aux sollicitations des maisons de disques et autres intervenants. La réponse à une telle question n’étant pas pertinente en la cause dès lors que l’inexécution de l’obligation de l’éditeur ne saurait être caractérisée au seul grief qu’il aurait peut être pu parvenir à des meilleurs résultats s’il avait fait preuve de plus de « dynamisme » ».
2. Concernant les manquements dans la perception et la répartition des droits de reproduction mécanique à l’étranger :
Le compositeur formulait trois griefs distincts :
(i) Le non respect de la convention d’apport signée par les auteurs avec la SACEM :
Le compositeur se plaignait de ce qu’une partie des droits de reproduction mécanique venant de l’étranger ne transite pas par la SACEM, ce qui le privait des points de retraite sur la partie des droits qui lui était directement reversée par l’Editeur.
Sur ce point, l’expert avait rappelé la distinction suivante :
– dans les pays où il existe une société de gestion collective membre du BIEM (Bureau International des sociétés gérant les droits d’Enregistrement et de reproduction Mécanique), celle-ci verse les droits de reproduction mécanique (i) à hauteur de 50 % à la SACEM, qui les répartit entre l’auteur et l’éditeur, et (ii) à hauteur de 50 % au représentant local de l’éditeur qui les reverse, déduction faite de sa commission (30% en l’espèce), à l’éditeur qui les reverse à son tour à l’auteur déduction faite de sa part éditoriale ;
– dans les pays où il n’existe pas de société de gestion collective, le représentant local de l’éditeur perçoit 100% des droits de reproduction mécanique et les reverse, déduction faite de sa commission, à l’éditeur, qui les reverse à son tour à l’auteur déduction faite de sa part éditoriale.
A cet égard, la Cour a rappelé que le reversement par les sociétés collectives locales, membres du BIEM, de 50% des droits de reproduction mécanique à la SACEM résulte « d’un système de gestion collective des droits d’auteur à l’étranger organisé par des conventions conclues entre les sociétés collectives étrangères de répartition des droits et la SACEM sans que cette dernière, en charge des droits des auteurs qui lui en ont fait apport, ne l’ai jamais remis en cause ».
En conséquence de ces constats, la Cour observe que la responsabilité de l’Editeur dans l’organisation contestée n’est pas établie et que n’est pas non plus démontré le lien de causalité entre une faute qui serait imputable à l’Editeur et le préjudice que prétend avoir subi le compositeur pour avoir été privé de points de retraite sur la partie des droits reversée par l’Editeur sans avoir transité par la SACEM.
(ii) La commission des sous-éditeurs étrangers qualifiée par l’auteur d’injustifiée et occulte :
La Cour a rappelé les constats de l’expert sur les mécanismes d’exploitation et de gestion du catalogue éditorial à l’international par les affiliés du groupe auquel appartient l’Editeur et l’existence d’une commission de 30% sur les droits de reproduction mécanique bénéficiant au représentant local.
La Cour a considéré que la commission ainsi prélevée était d’une part, conforme aux stipulations des contrats qui limitent expressément cette commission à 50% des droits et d’autre part, ne présentait aucun caractère « occulte » et qu’elle n’était pas davantage « injustifiée » dès lors qu’elle avait été acceptée par l’auteur à la signature des contrats « lesquels la justifie, précisément, (…), comme de nature à « faciliter l’exploitation éventuelle à l’étranger de l’œuvre » ».
(iii) Les conversions monétaires défavorables aux auteurs :
La Cour a reconnu que le compositeur a eu à subir en raison de la pratique des conversions monétaires au sein du groupe auquel appartient l’Editeur une minoration des droits perçus dont il convient de le dédommager (pour un montant de 1034 €).
Enfin, concernant les fautes invoquées par le compositeur dans l’exploitation de l’œuvre (dont le caractère très factuel ne nécessite pas de développements particuliers), la Cour a considéré qu’elles n’étaient pas caractérisées ou mal fondées.
Cet arrêt fournit des enseignements très intéressants sur les critères pris en compte dans l’appréciation de l’exploitation permanente et suivie d’une œuvre. S’agissant du mécanisme de perception des droits de reproduction mécanique provenant de l’étranger, la Cour valide la pratique consistant à faire transiter une partie des droits par le sous-éditeur, y compris pour les territoires dans lesquels il existe une gestion collective, en se fondant sur l’acceptation de ce mécanisme par la SACEM et ses homologues étrangers. S’agissant des commissions perçues par les sous-éditeurs, la Cour valide les dispositions du contrat de cession et d’édition par lesquelles les auteurs acceptent la perception de ces commissions aux fins de favoriser la diffusion des œuvres à l’étranger et refuse ainsi de se livrer à une appréciation d’opportunité quant au paiement de ces commissions dès lors que celles-ci n’excèdent pas la limite fixée par le contrat d’édition.
Dorothée SIMIC