L’acquisition du caractère distinctif d’une marque de l’Union européenne
Le 21 mars 2002, la société Nestlé SA a présenté une demande d’enregistrement de marque européenne auprès de l’office européen, pour le signe figuratif suivant, représentant sa gaufrette Kit Kat :
Cette marque a été enregistrée le 28 juillet 2006, pour les produits suivants relevant de la classe 30 : bonbons, produits de boulangerie, articles de pâtisserie, biscuits, gâteaux et gaufres.
Le 23 mars 2007, Cadbury Schweppes Plc –devenue aujourd’hui Mondelez UK Holdings & Services Ltd– a introduit une action en nullité de l’enregistrement, contre l’ensemble des produits visés à l’enregistrement, au motif, notamment, que la marque enregistrée serait dépourvue de caractère distinctif (article 7, b) du règlement n°207/2009). Le 11 janvier 2011, la division d’annulation a déclaré nulle la marque susvisée déposée par Nestlé SA. Un recours contre cette décision de la division d’annulation a été formé par Nestlé SA, invitant ainsi la Chambre des recours de l’EUIPO à se prononcer sur la distinctivité de la marque figurative « Kit Kat ».
Comme la division d’annulation, la Chambre des recours a conclu à l’absence de distinctivité de la marque pour les produits visés au dépôt, mais a considéré que le signe avait acquis un caractère distinctif par l’usage qui en avait été fait dans l’Union. La Chambre des recours a justifié cette décision en s’appuyant sur les éléments fournis par la société Nestlé, qui rapportait la preuve d’une reconnaissance spontanée du signe par près de 50% du public d’Etats membres représentant près de 90% de la population de l’Union.
Un appel de cette décision a été formé par la société Mondelez devant le Tribunal de l’Union européenne, qui a finalement annulé la décision de l’EUIPO, pour les raisons ci-dessous :
– Sur les sous-catégories de produits : la division d’annulation de l’EUIPO avait conclu que la marque contestée avait acquis par l’usage un caractère distinctif pour tous les produits visés à l’enregistrement. Un tel usage pour tous les produits visés était contesté par Mondelez, qui arguait qu’il n’était démontré que pour le chocolat, les produits en chocolat et la confiserie, mais non pour les produits de boulangerie, les articles de pâtisserie, les gâteaux et les gaufres. Le Tribunal de l’UE rappelle que lorsqu’une marque a été enregistrée pour une catégorie de produits ou de services englobant plusieurs sous-catégories autonomes, la preuve de l’usage pour une partie de ces produits ou services n’emporte protection que pour la ou les sous-catégories correspondantes. Le Tribunal considère que l’usage pour des bonbons et des biscuits « ne saurait emporter la protection pour d’autres catégories de produits tels que les produits de boulangerie, les articles de pâtisserie, les gâteaux et les gaufres ».
– Sur l’usage de la marque sous la forme dans laquelle elle est enregistrée : Mondelez soutenait que le signe contesté est utilisé en combinaison avec la marque verbale KIT KAT, dont le caractère prédominant est selon elle l’unique source du caractère distinctif acquis invoqué. Ainsi, le caractère prédominant de la marque verbale empêcherait toute démonstration d’acquisition du caractère distinctif par la marque figurative. Cette argumentation n’est pas reprise par le Tribunal de l’UE, qui rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’acquisition d’un caractère distinctif peut résulter aussi bien de l’usage, en tant que partie d’une marque enregistrée ou d’un élément de celle-ci, que de l’usage d’une marque distincte en combinaison avec une marque enregistrée. Ainsi, il n’est pas nécessaire de démontrer l’existence d’un usage indépendant de la marque enregistrée, dès lors que cette dernière est apte à distinguer une origine commerciale.
– Sur l’acquisition du caractère distinctif dans toute l’Union européenne : la preuve de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage doit être rapportée dans l’ensemble du territoire de l’Union européenne, dans sa configuration à la date de dépôt de la marque, et ce de manière quantitativement suffisante. Ainsi, il n’est pas suffisant de rapporter la preuve que la marque contestée a acquis un caractère distinctif par l’usage au sein d’une partie substantielle ou d’une majorité des pays de l’Union européenne. Et ce même si proportionnellement, les populations de ces pays représentent elle-même une partie substantielle de la population de l’Union européenne. Le Tribunal de l’UE rappelle à ce titre que « l’absence de reconnaissance du signe comme indication de l’origine commerciale dans une partie du territoire de l’Union européenne ne saurait être compensée par un niveau plus élevé de connaissance dans une autre partie de l’Union européenne ». En l’espèce, en dépit de la preuve de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage au sein de 10 des 15 Etats membres de l’Union européenne (à la date du dépôt), le Tribunal considère que l’EUIPO ne pouvait conclure à l’acquisition du caractère distinctif par l’usage de la marque au sein de l’Union européenne, sans se prononcer sur la perception du public pertinent au sein des autres Etats membres.
Enfin, le Tribunal rappelle également sa jurisprudence selon laquelle « la marque (…) doit avoir acquis un caractère distinctif, au moins, entre la date de son enregistrement et celle de la demande de nullité ». En France, un arrêt de la cour d’appel de Paris, récemment confirmé par la Cour de cassation (Chambre commerciale, 6 décembre 2016), avait jugé que les éléments de preuves postérieurs à la date de la demande de nullité pouvaient également être pris en compte par le juge pour apprécier l’acquisition du caractère distinctif par l’usage d’une marque (cour d’appel de Paris, Pôle 5 – Chambre 1, arrêt du 31 mars 2015).
Antoine JACQUEMART