L’action sociale ut singuli, régime spécifique de responsabilité qui vise à réparer un préjudice subi par la société et intentée par un actionnaire contre le dirigeant, est irrecevable lorsqu’elle est intentée contre un tiers.
La mise en œuvre de la responsabilité civile délictuelle en droit des sociétés est complexe et peut s’avérer un échec si elle n’est pas préparée avec minutie.
Entre la responsabilité du dirigeant envers la société, les actionnaires ou les tiers, et la responsabilité du tiers envers la société…on peut s’y tromper facilement. La jurisprudence nous fournit ici un bel exemple d’erreur d’appréciation dans le fondement choisi pour intenter l’action[1].
En l’espèce, une société anonyme (la « SA ») exploitait des résidences de tourisme dont les murs appartenaient à des filiales de son actionnaire majoritaire. Un conflit s’étant élevé entre deux groupes d’actionnaires sur le fait de savoir qui des propriétaires des murs (les filiales) ou du locataire (la société anonyme) devait supporter le coût de certains travaux, des actionnaires minoritaires de la SA avaient exercé, contre les sociétés propriétaires des murs, l’action sociale ut singuli en réparation des préjudices subis par la SA.
Pouvaient-ils exercer l’action sociale ut singuli contre des tiers qui n’ont pas la qualité de dirigeant ? La Haute juridiction confirme l’irrecevabilité de cette action prononcée par les juges d’appels, et rejette le pourvoi.
Les sociétés subissent régulièrement des préjudices dont les associés sont tentés de demander réparation devant les tribunaux.
En principe, lorsqu’une action est intentée par la société, celle-ci est représentée par son ou ses dirigeants. C’est alors au dirigeant qu’il incombe d’exercer l’action.
Le Code de commerce prévoit que l’action, dite « sociale », est exercée soit « ut universi » par le dirigeant, soit « ut singuli » par un actionnaire (article L. 223-22 alinéa 3 pour la SARL et L. 225-251 et suivants pour les sociétés par action).
Ainsi l’article L. 225-252 du Code de commerce[2] est le fondement de l’action en responsabilité intentée par les actionnaires, au nom et pour le compte de la société, en réparation du préjudice que cette dernière aurait subi.
Cette action vise à sanctionner l’inertie, volontaire, du dirigeant qui aurait commis une faute. Elle est subsidiaire et ne peut être exercée que si le ou les dirigeants en fonction n’exercent pas l’action. Il serait d’ailleurs assez singulier qu’un dirigeant exerce une telle action contre…lui-même. D’où l’aspect subsidiaire de cette action.
Les dommages et intérêts éventuellement obtenus en justice seront alloués à la société, qui aurait subi le préjudice, et non à l’associé qui exerce l’action. Cela se comprend par le fait que l’action est exercée au nom et pour le compte de la société.
Toutefois, ce fondement permet-il d’intenter une action en responsabilité contre un tiers n’ayant pas la qualité de dirigeant pour un préjudice subi par la société ? La Cour de cassation répond ici par la négative en appliquant strictement l’article L. 225-252 du Code de commerce.
Il y aurait ainsi une erreur d’aiguillage à utiliser la voie de l’action sociale pour une action engagée par les associés contre des tiers.
Dès lors, quel choix reste-t-il aux associés ? Lorsque la société subit un préjudice, il revient à la société d’exercer elle-même une action en responsabilité de droit commun contre le tiers. C’est alors au dirigeant, représentant de la société, d’intenter l’action. Si ce dernier n’intente pas l’action, alors cette carence fautive du dirigeant devrait permettre aux actionnaires d’intenter une action sociale ut singuli contre ce dernier qui prive la société de dommages et intérêts que la société aurait perçus si l’action était exercée par le dirigeant contre le tiers.
A noter enfin que si l’actionnaire exerce une action (personnelle) en responsabilité civile contre un dirigeant, il doit impérativement démontrer l’existence d’un préjudice personnel, distinct de celui-ci subi par la société[3]. Ce qui est difficile en pratique, car bien souvent le préjudice de l’actionnaire se confond avec celui subi par la société et rend donc impossible sa réparation.
Laurent AYGUN
[1] Cass. Com. 19 mars 2013 n° 12-14.213.
[2] « Outre l’action en réparation du préjudice subi personnellement, les actionnaires peuvent, soit individuellement, soit par une association répondant aux conditions fixées à l’article L. 225-120 soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, intenter l’action sociale en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l’entier préjudice subi par la société, à laquelle, le cas échéant, les dommages-intérêts sont alloués ».
[3] Cass. com. 8 février 2011 n° 09-17.034.Téléchargez cet article au format .pdf