« Ascenseur pour l’échafaud » face au Code de la propriété intellectuelle : un premier pas en avant !
CA Paris, Pôle 5 – ch. 2 – 18 juin 2010
La bande sonore d’un film interprétée afin d’y être incorporée relève du champ de la présomption de cession de l’article L. 212-4 du Code de la propriété intellectuelle.
On se souvient certainement de la bande sonore du film de Louis Malle, « Ascenseur pour l’échafaud », interprétée par le légendaire Miles Davis et ses musiciens et enregistrée en totale improvisation les 4 et 5 décembre 1957 alors même que le réalisateur diffusait devant eux les images du Film, sans qu’une quelconque partition ni partie n’ait été composée au préalable.
Cet enregistrement, devenu un classique, a notamment été exploité par la société UNIVERSAL MUSIC, au sein de rééditions de phonogrammes du commerce, ce dont ont finalement eu connaissance les héritiers de Kenny Clarke, le batteur ayant accompagné Miles Davis. Estimant que leur père n’avait jamais autorisé une telle « exploitation secondaire » ils ont assigné la société UNIVERSAL MUSIC sur le fondement des articles L. 211-4 e L. 212-3 du Code de la propriété intellectuelle afin de réclamer l’indemnisation du préjudice subi.
Logiquement, la Cour exclut l’application des dispositions de l’article L. 212-3 du Code de la propriété intellectuelle, institué par la loi du 3 juillet 1985 et ne pouvant dès lors régir un enregistrement réalisé (bien) avant son entrée vigueur.
Rappelant ensuite que les dispositions de l’article L. 212-4 combinées à celles de l’article L. 212-7 du Code de la propriété intellectuelle – lequel énonce que les contrat antérieurs au 1er janvier 1986 entre un artiste-interprète et un producteur d’oeuvre audiovisuelle « sont soumis aux dispositions qui précèdent en ce qui concerne les modes d’exploitation qu’ils excluaient » – ont vocation à régir les enregistrements réalisés avant l’entrée en vigueur de la loi de 1985, la Cour juge que « l’interprétation de Monsieur Clarke n’a été réalisée que pour constituer l’accompagnement musical des images », qu’il « s’agit d’une interprétation musicale destinée à être incorporée aux images du film, et réalisée uniquement pour les besoins de l’oeuvre audiovisuelle » et qu’en conséquence elle « relève du champ de l’article L. 212-4 qui gouverne les contrats conclus pour la réalisation d’une oeuvre audiovisuelle ».
Au-delà de l’espèce et des circonstances particulièrement exemplaires d’une interprétation par Miles Davis et ses musiciens en symbiose totale avec les images du film, cet attendu mérite une pleine approbation même s’il fait suite à des décisions contraires. Le principe implique en effet, s’agissant d’enregistrements sonores spécifiquement interprétés pour la réalisation d’une oeuvre audiovisuelle, que le producteur bénéficie de la présomption de cession institué par l’article L. 212-4 précité, même si la fixation n’est que phonographique.
Toutefois, en l’espèce, la Cour écarte le bénéfice d’une telle présomption au motif que la société UNIVERSAL ne peut se « prévaloir de la seule présence de l’artiste lors de la séance d’enregistrement » laquelle ne « saurait d’évidence suffire à caractériser l’existence d’un contrat conforme aux prescriptions de l’article L. 212-4 ».
Sur ce dernier point, la décision paraît contestable à un double égard :
- D’une part, l’exigence d’un écrit posée par l’article L. 212-4 lui-même est sans pertinence puisqu’elle ne vaut que pour les contrats passés postérieurement au 1er janvier 1986. C’est en effet précisément afin d’étendre le bénéfice de la présomption de cession au producteur d’oeuvres audiovisuelles produites avant le 1er janvier 1986, c’est-à-dire à une époque où l’écrit n’était pas une condition légale de validité des cessions, que le législateur a instauré l’article L.212-7 du Code de la propriété intellectuelle.
- D’autre part, le contrat conclu entre un producteur et un artiste n’est présumé être un contrat de travail que depuis l’entrée en vigueur de la loi n°69-1186 du 26 décembre 1969.
En d’autres termes, en 1957, date la fixation de la bande sonore litigieuse, aucun texte ne posait l’exigence d’un contrat écrit qu’il s’agisse de l’encadrement de la prestation ou même de la concrétisation de l’autorisation de fixer, reproduire et communiquer au public les prestations des artistes.
Stéphane CHERQUI