CAA de Nantes, 16 décembre 2015
Au début de l’année 2010, la société Les Brasseries Kronenbourg SAS a fait réaliser des photographies du château de Chambord, en vue du lancement d’une campagne annuelle de publicité pour la bière « 1664 ».
Le 19 avril 2010, l’établissement public du domaine national de Chambord informait l’agence de communication en charge de la réalisation des prises de vue que l’utilisation de l’image du château constituait une utilisation du domaine public, justifiant selon lui le versement d’une contrepartie financière, sur le fondement de l’article L.2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques.
Cette disposition soumet « toute occupation ou utilisation du domaine public d’une personne publique (…) au paiement d’une redevance ».
Le 12 avril 2011, les parties n’étant parvenues à aucun accord financier quant au montant de la redevance due, le domaine national de Chambord avait transmis deux états de sommes qu’il estimait dues au titre des prises de vue du château à des fins commerciales, ces sommes étant majorées au regard de l’importance de la campagne publicitaire.
La société Les Brasseries Kronenbourg SAS refusait toujours de payer et demandait l’annulation de ces titres exécutoires devant le tribunal administratif d’Orléans qui, par un jugement du 6 mars 2012, a fait droit à ses demandes.
Pour annuler ces actes, le tribunal administratif d’Orléans a notamment jugé que le domaine de Chambord ne pouvait utilement se prévaloir des dispositions de l’article L.2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques.
La cour d’appel a confirmé la décision du tribunal en ce qu’il a estimé que l’article L.2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques ne permettait de soumettre à autorisation l’occupation ou l’utilisation du domaine public « que lorsqu’elle constitue un usage privatif de ce domaine public », et que la redevance alors due constitue la contrepartie « du droit d’occupation ou d’utilisation privative ainsi accordé ». Qu’en l’espèce, « en l’absence d’un usage privatif de ce domaine public, l’établissement public du domaine national de Chambord ne pouvait légalement réclamer aucune redevance domaniale » sur le fondement de cet article, l’image d’un bien appartenant à une personne publique ne se confondant pas avec ce bien.
Subsidiairement, le domaine de Chambord demandait que la société Kronenbourg soit condamnée à lui verser une indemnité de 251 160 euros, au titre du préjudice subi par lui et « correspondant à l’équivalence de la redevance domaniale réclamée par les deux titres exécutoires ».
La cour d’appel juge que « les prises de vue d’un immeuble appartenant au domaine public d’une personne publique, à des fins de commercialisation des reproductions photographiques ainsi obtenues ou d’association de ces reproductions à des produits dans le cadre d’opérations de publicité commerciale, requièrent une autorisation préalable délivrée par le gestionnaire de ce domaine », et que « cette autorisation peut prendre la forme d’un acte unilatéral ou d’un contrat ». Cette autorisation peut être assortie de conditions financières, mais qui devront avoir été légalement préalablement déterminées.
La cour d’appel justifie sa position en invoquant les « exigences constitutionnelles tenant à la protection du domaine public ».
La cour d’appel rejette néanmoins la demande indemnitaire du domaine de Chambord, au motif qu’il n’appartient pas aux juridictions de l’ordre administratif de se prononcer sur la responsabilité d’une personne privée à l’égard d’une personne publique.
Reste donc désormais à savoir si les juridictions judiciaires reprendront cette notion d’« exigences constitutionnelles tenant à la protection du domaine public », qui justifie, selon la cour administrative d’appel, qu’une autorisation préalable, possiblement à titre onéreux, soit demandée à la personne publique propriétaire d’un domaine public. Au regard de la jurisprudence civile, cela est plus que douteux. Quoiqu’il en soit, une telle autorisation ne devrait pas être nécessaire si l’œuvre architecturale se fond dans un ensemble architectural et est, par conséquent, accessoire au sujet traité.
Antoine JACQUEMART
Téléchargez cet article au format .pdf
Ayant eu connaissance d’une campagne publicitaire nationale visant à faire la promotion des chaussures de la marque KICKERS et reprenant, au sein de ses visuels, les termes « FOREVER YOUNG », il a assigné le distributeur des produits KICKERS en France.
Ses demandes ayant été rejetées par le tribunal de grande instance de Rennes, la société BRUNO SAINT HILAIRE, a formé appel de la décision et la Cour d’appel de Rennes, saisie du litige, permet ainsi d’enrichir la jurisprudence déjà fournie sur la protection des slogans publicitaires par le droit des marques.
La validité des dépôts de slogans à titre de marque a parfois été contestée, en raison de leur nature évocatrice. Malgré cela, les tribunaux sont souvent réticents à considérer qu’un slogan ne peut, per se, être déposé en tant que marque, l’article L711-1 du Code de la propriété intellectuelle listant parmi les signes pouvant être déposés en tant que marque les « dénominations sous toutes les formes » dont notamment les « assemblages de mots ».
Cependant, même déposé, il peut souvent s’avérer difficile pour les titulaires de ces marques d’obtenir une protection sur le fondement du droit des marques, comme l’illustre notamment cet arrêt.
En l’espèce, si la validité du dépôt en tant que marque du signe n’était pas contestée ici, le litige portait sur la réalité de l’usage.
L’article L714-5 du Code de la propriété intellectuelle énonce en effet qu’ « encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans juste motif, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans ».
La société BRUNO SAINT HILAIRE, à qui était opposée l’absence d’usage sérieux du signe , avait soutenu qu’elle utilisait sa marque, en produisant des « photographies de 4 personnes portants des vêtements et chaussures avec la mention Forever Y au-dessus de la marque Saint Hilaire », ou encore « la présentation d’un homme habillé sur un solex devant un panneau où figure les mêmes éléments et alors qu’il constitue un stand publicitaire (…) ». Elle reconnaissait néanmoins que ce signe était utilisé comme concept, ce qu’indiquait d’ailleurs son site : « Forever Y, c’est tout un état d’esprit… avoir confiance en soi, se sentir bien et libre, oser passer à l’acte… être Forever Y ».
La Cour d’appel de Rennes a estimé que le signe n’était dès lors pas utilisé dans une fonction d’identification de l’origine des produits, et a prononcé la déchéance de la marque à compter du 1er décembre 2013.
Si la contrefaçon n’était pour autant pas de facto écartée à ce stade, les actes argués de contrefaçon datant de septembre 2010, la contestation de l’usage effectif à titre de marque a s’est avérée efficace.
La Cour d’appel note que le signe FOREVER YOUNG avait été utilisé « dans le cadre des 40 ans de la marque KICKERS », « au sein d’une phrase écrite en langue anglaise, traduite ensuite en langue française », de manière descriptive « de la marque KICKERS éternellement jeune ». Elle estime, par conséquent et de manière plutôt cohérente avec la déchéance prononcée, que là aussi, ces mots étaient utilisés à titre d’expression courante et non à titre de marque. Aucun usage du signe à titre de marque n’ayant été réalisé antérieurement au 1er décembre 2013, la demande sur le fondement de la contrefaçon a par conséquent été rejetée.
Sur les demandes formées sur le fondement de la concurrence déloyale, la Cour confirme également le jugement, en estimant que la société BRUNO SAINT HILAIRE ne justifiait pas d’investissement ou de travail particulier pour développer le « concept » FOREVER YOUNG, dont la « valeur économique individualisée » n’était, selon la Cour, pas démontrée.
Antoine JACQUEMART