Marcela Iacub, essayiste et journaliste à Libération est l’auteur d’un ouvrage paru le 27 février 2013 intitulé « Belle et Bête » dans lequel elle relate sa relation avec Dominique Strauss-Kahn qu’elle qualifie sans le nommer de « mi-homme, mi-cochon ».
Quelques jours avant sa parution, le Nouvel Observateur a consacré sept pages à la sortie de l’ouvrage titrant son numéro du 21 au 27 février 2013 « Mon histoire avec DSK – le récit explosif de l’écrivain Marcela Iacub ». L’hebdomadaire y publie une interview de Marcela Iacub ainsi que les « bonnes feuilles » du livre qui relatent notamment des scènes de nature sexuelles, des textos intimes envoyés par DSK, des propos qui font état de la gravité de son état de santé, et d’autres propos sur ses relations avec Anne Sinclair. Dans l’interview, l’auteur explique la part de vrai et de fiction et affirme que les faits relatés dans son livre sont tous vrais sauf les scènes sexuelles « (…) fausses sur un plan factuel, (…) vraies sur un plan psychique, émotif, intellectuel ».
Le 25 février, suite à cette publication, DSK assigne en référé d’heure à heure Marcela Iacub, les éditions Stock, la société Le Nouvel Observateur et Hachette Livres pour atteinte à l’intimité de sa vie privée sur le fondement des articles 808 et 809 du CPC, et des articles 8 de la CESDH et 9 du Code civil relatifs à la protection de la vie privée. Il demande notamment d’ordonner à l’éditeur l’insertion d’un encart dans chaque exemplaire du livre et à titre subsidiaire l’interdiction dudit livre.
Le juge des référés accueille les demandes de DSK constatant qu’en l’espèce le droit au respect de sa vie privée prévaut sur le droit à la liberté d’expression invoqué par les demanderesses.
Le juge relève qu’en l’espèce, s’il n’est pas nommément désigné, DSK est identifié par diverses mentions se rapportant spécifiquement à sa personne, et que, par conséquent, la révélation de cette relation intime est en elle-même attentatoire à sa vie privée. Le juge relève ensuite que si les passages relatifs aux scènes sexuelles sont romancés, les lecteurs comprennent que ces descriptions « destinées à éviter la relation de faits « sordides ou mesquins » reflètent d’autant mieux la « vérité » de la relation entretenue entre Marcela Iacub et DSK, de sorte que ces faits – qu’ils soient vrais ou non – portent gravement atteinte à sa vie privée. Enfin, concernant les textos intimes, le juge estime que même s’ils ne sont pas d’une grande originalité, ceux-ci relèvent de la sphère protégée de l’article 9 du Code civil, tout comme les passages relatifs à son état de santé et à sa relation avec son ex-épouse.
Les arguments de la défense consistant à faire valoir que les propos concernaient une personnalité publique ayant de surcroit mis son couple en scène pendant des années en vue d’accéder à l’Elysée ont été écartés, de même que celui selon lequel les propos litigieux relevaient d’un sujet d’intérêt général. Le juge a en effet considéré que si l’ouvrage pouvait présenter des aspects relevant d’un sujet d’intérêt général tel que l’exercice et la conquête du pouvoir ou le dédoublement de personnalité, il relève de nombreux passages sans lien direct avec ces questions, notamment ceux relatifs à la santé et la vie sexuelle de DSK.
De même l’argument tiré de la liberté de création de l’écrivain est écarté. En effet l’intention littéraire de l’auteur de faire de ce livre un livre d’amour et de passion est contredite par un mail envoyé à DSK en novembre 2012 dans lequel Marcela Iacub explique qu’elle « s’est laissée entraîner par ses éditeurs d’une manière un peu légère dans un projet le concernant auquel [elle] n’aurait pas dû participer », et « qu’il [lui] a fallu [lui] faire croire qu'[elle] était éprise de [lui] ».
Compte tenu de la gravité de l’atteinte à la vie privée, le juge des référés condamne les éditions Stock à l’insertion d’un encart dans chaque exemplaire du livre sous astreinte de 50 euros par infraction constatée et le Nouvel Observateur à la publication d’un encart couvrant la moitié de sa une. Marcela Iacub et les éditions Stock sont condamnées à payer une provision de 50.000 Euros, le Nouvel Observateur à 25.000 euros.
L’interdiction de diffusion qui était demandée à titre subsidiaire n’est en revanche – et de manière assez prévisible – pas prononcée, celle-ci étant en effet très difficile à obtenir, notamment depuis la jurisprudence relative au docteur Gübler, ancien médecin de François Mitterrand qui avait publié un livre sur le cancer de l’ancien Président. Le livre avait été retiré de la vente avant d’être réédité neuf ans plus tard après la condamnation de la France par la CEDH (v. CEDH, Plon c/ France, n° 58148/00, 18 mai 2004).
Saskia BOUROVITCH