La CEDH se penche à son tour sur le filtrage des sites internet
La CEDH condamne la Turquie pour avoir bloqué le site Google Sites suite à la publication de propos outrageants à la mémoire d’Atatürk sur l’un des sites hébergés.
La requête est formée par un chercheur, propriétaire et utilisateur d’un autre site hébergé sur Google Sites, qui se plaignait de ne plus pouvoir accéder à son site sur lequel il publiait ses travaux académiques.
S’étant trouvé dans l’impossibilité d’accéder à son propre site web, le requérant estime que la mesure de blocage de Google Sites constitue une atteinte à son droit à la liberté de recevoir et de communiquer des informations et des idées, garanti par l’article 10 de la CESDH.
La Cour conclut à la violation de l’article 10 de la CESDH en raison du manque de prévisibilité de la loi.
En l’espèce, la loi turque prévoyait bien le blocage de l’accès aux publications diffusées sur Internet en cas de contenu constitutif d’infractions. Néanmoins, le texte de loi a été interprété largement puisque la décision de blocage a été prise alors même que ni « Google Sites » ni le site du requérant ne faisaient l’objet d’une procédure judiciaire pour publication d’un contenu illicite.
Pour la CEDH, auraient du être élaborés un cadre légal strict et un contrôle juridictionnel de la mesure de blocage mettant en balance les intérêts en conflit pour éviter les abus (dans le cas présent, infraction pénale c/ liberté d’expression). Il appartenait notamment à la Turquie de rechercher si une mesure moins lourde qu’un blocage général pouvait être adoptée pour empêcher l’accès au site litigieux.
L’arrêt souligne la nécessaire proportionnalité des mesures restreignant l’accès à internet, exigence récurrente, comme l’illustre l’arrêt Scarlet v. SABAM [Voir Article Netcom Décembre 2011]. Dans cette affaire, la SABAM, société de gestion collective belge avait constaté que des internautes utilisant le service Scarlet téléchargeaient sur internet, sans autorisation et sans paiement de droits, des œuvres reprises de son répertoire. La CJUE avait considéré que l’injonction faite à un fournisseur d’accès internet de mettre en place un système de filtrage systématique destiné à identifier et à bloquer les téléchargements illégaux de fichiers était contraire au droit de l’UE. La CJUE avait notamment souligné que, dans le cadre de la mise en place d’une mesure restreignant l’accès à internet, le juge national devait assurer un juste équilibre entre les droits en conflit, à savoir en l’espèce les droits de propriété intellectuelle, d’une part, et la liberté d’entreprise, le droit à la protection des données à caractère personnel et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations, d’autre part.
L’arrêt ne devrait pas ébranler notre droit positif qui prévoit que toute restriction au libre accès aux services de communication au public en ligne ne peut être ordonnée que par un juge, à l’issue d’un procès équitable et en imposant une mesure proportionnée (Conseil Constitutionnel, 10 juin 2009, n°2009-580 DC). L’arrêt ne remet pas non plus en cause le fait que des mesures provisoires puissent être ordonnées par un juge des référés. En droit interne, celles-ci sont envisageables sous réserve « d’être strictement nécessaires à la préservation des droits en cause » et sont prévues par plusieurs dispositions (art. 6-I-8 de la LCEN, art. 61 de la loi du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, art. 50-1 de la loi du 29 juillet 1881, art. L.336-2 du CPI permettant une saisine en la forme des référés mais pour une décision au fond).
Cet arrêt invite à s’interroger sur les conséquences pratiques de mesures s’agissant du cloud computing. En effet, le blocage du site Google Sites avait eu pour effet de bloquer l’accès aux contenus de l’internaute stockés sur le site.
Saskia BOUROVITCH