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La Cour d’appel de Rennes s’est prononcée dans un arrêt du 14 janvier 2025 sur les conditions auxquelles des agissements antérieurs et postérieurs à la résiliation d’un contrat pouvaient être qualifiés d’actes de concurrence déloyale, en dehors de toute clause de non-concurrence applicable à l’auteur des actes après résiliation du contrat.

Avant de démissionner et de quitter de façon effective le poste qu’elle occupait, une salariée avait créé une société dont elle était Présidente et dont l’activité était identique à celle de son ancien employeur : transactions d’immeubles et de fonds de commerce, mission de syndic de copropriété et conseils en immobilier. Les deux sociétés intervenant sur le même secteur et pour le même type de prestations étaient ainsi concurrentes. Le contrat liant la salariée à son employeur ne comportait pas de clause de non-concurrence. Enfin, la date de début d’activité qui était mentionnée sur l’extrait Kbis de la nouvelle société était antérieure de quelques jours à la date de fin effective du contrat de travail de la salariée.

Presque une année plus tard, l’ancien employeur a obtenu l’autorisation judiciaire de faire établir un constat par un Commissaire de justice au siège social de la société concurrente créée par sa salariée : l’ancien employeur déduisait de ce constat l’existence d’une concurrence déloyale à son détriment par le biais d’un démarchage des syndicats de copropriété constituant sa clientèle et d’un détournement de certains de ces syndicats au profit de la société de son ancienne salariée.

Le Tribunal de commerce de Vannes initialement saisi a fait droit aux demandes de l’ancien employeur : il a retenu la commission d’actes de concurrence déloyale fondant la responsabilité de la nouvelle société et de sa Présidente et l’existence d’un préjudice qu’elles ont été condamnées à indemniser. Le Tribunal a, en outre, contraint sous astreinte la société et sa Présidente à cesser les actes de concurrence déloyale dénoncés.

La Cour d’appel de Rennes a rappelé que l’obligation de non-concurrence pendant le cours de l’exécution d’un contrat découlait de l’obligation de loyauté pesant sur les parties. Peu importait donc en l’espèce que le contrat ne prévoyait pas de clause de non-concurrence pendant son exécution. La Cour d’appel a également rappelé que, pour être sanctionnée comme acte de concurrence déloyale, l’activité concurrente devait être exercée de manière effective pendant le contrat.

En l’espèce, la Cour a exclu que l’activité concurrente ait été exercée de façon effective pendant le contrat car le commencement d’activité avait nécessairement été postérieur à la fin effective de ce contrat, à défaut de délivrance de la carte professionnelle requise et d’actes tangibles de démarchage et de signature de contrats de mandats de gestion. L’antériorité de la déclaration administrative de création de la société concurrente sur son extrait k-bis ne suffit pas à démontrer un commencement d’activité effective à cette même date. L’ancien employeur ne rapportant pas la preuve que l’ancienne salariée et la société qu’elle avait créée avaient exercé leur nouvelle activité concurrente de façon effective avant la fin du contrat de travail, leur responsabilité au titre de la violation contractuelle de l’obligation de loyauté n’était pas démontrée.

En revanche, la Cour a retenu l’existence d’une concurrence déloyale effective après la fin du contrat de travail, sur le fondement du détournement du fichier clients dans le but d’attirer la clientèle de l’ancien employeur. Il est constant, comme l’a rappelé la Cour, que « le détournement du fichier clientèle d’un concurrent pour démarcher sa clientèle constitue un procédé déloyal ».

Deux questions se posaient ensuite à la Cour. D’abord, le détournement du fichier clientèle de l’employeur était-il établi ? La Cour a répondu par l’affirmative comme le Tribunal l’avait également fait, en se fondant sur le constat du Commissaire de justice dont il ressortait que la liste des syndicats de copropriété découverte au siège social de la société concurrente était parfaitement identique à celle de l’ancien employeur : les mêmes clients y figuraient dans le même ordre et avec les mêmes codes, ces clients étaient gérés par l’ancienne salariée, des informations propres à l’ancien employeur y étaient précisées, telles que les initiales de ses comptables. La Cour a donc retenu que le fichier de clientèle retrouvé au sein de la société concurrente était bien celui de l’ancien employeur et que le détournement de ce document était établi.

La seconde question qui se posait était de savoir si un démarchage effectif était démontré. L’étude du contenu du fichier clientèle a permis à la Cour de retenir la mise en œuvre effective du démarchage. En effet, ce fichier clientèle comportait des informations permettant le démarchage, telles que les dates des derniers renouvellements des mandats de gestion signés entre l’ancien employeur et ses clients, les dates des dernières assemblées générales avant le départ de la salariée, ainsi que des indications démontrant que le démarchage avait effectivement été mis en œuvre, telles que des surlignages par la société concurrente de certains syndicats et des appréciations sur la probabilité que ces clients rejoignent sa clientèle.

La Cour en a conclu que la société concurrente avait appliqué un plan de démarchage systématique des clients de l’ancien employeur en fonction des dates d’échéance des mandats et qu’en conséquence le détournement du fichier clientèle aux fins de démarchage établissait la concurrence déloyale.

Enfin, sur l’indemnisation du préjudice la Cour d’appel a retenu que seule la perte de chance de renouveler les mandats de syndic à leur échéance pouvait être indemnisée et que l’évaluation de cette perte de chance devait tenir compte de l’ancienneté de la relation contractuelle entre les clients et l’ancien employeur, une durée d’ancienneté importante justifiant une perte de chance majorée. Le montant de la perte de chance ainsi caractérisée a été très modeste.

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