La Cour d’appel de Paris reconnaît un préjudice aux enseignes GMS Cora et Supermarché Match dans l’affaire dite des Produits Laitiers
Le 24 novembre 2021, la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt enrichissant en matière d’actions en réparation faisant suite à des décisions de sanction de l’ADLC pour pratiques anticoncurrentielles.
Le contentieux en l’espèce oppose Cora et Supermarché Match aux entreprises sanctionnées en 2015 par l’ADLC, à savoir Senagral (devenue Eurial), Novandie, L.N.U.F. et Lactalis pour entente sur les prix entre 2006 et 2012 et répartition des volumes dans le secteur des produits laitiers en MDD, à l’exception de Yoplait qui a préféré transiger avec les appelantes.
La Cour d’appel de Paris vient infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris (Trib. com. Paris, 20 févr. 2020, RG n° 2017021571) qui avait débouté Cora et Supermarché Match de leur demande de réparation aux motifs qu’elles ne démontraient pas à suffisance de droit l’existence d’un lien de causalité entre la pratique condamnée par l’ADLC et le préjudice concurrentiel et qu’elles avaient été en mesure de répercuter intégralement les surcoûts qui résultaient de l’entente.
Sur l’application dans le temps de la présomption de non-répercussion du surcoût, l’arrêt commence par affirmer que cette présomption n’a pas seulement une finalité probatoire, mais qu’elle affecte directement la situation juridique des sociétés mises en cause.
Autrement dit, la présomption de l’article L. 481-4 c. com. (venu transposer la directive « Dommages » en 2014) est une disposition substantielle qui ne saurait s’appliquer rétroactivement aux situations passées, et ce, sans que le principe de l’efficacité du droit européen ne puisse être avancé.
Ainsi, l’affaire devait être uniquement examinée au regard du droit commun de la responsabilité délictuelle, requérant la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.
Sur l’évaluation du préjudice, la Cour accueille trois chefs de préjudice distincts :
- un surcoût lié à l’entente (calculé au moyen de trois taux de surcoût distincts appliqués sur trois périodes distinctes), en considérant que Cora et Supermarché Match n’avaient en réalité pas pu entièrement – mais seulement partiellement – répercuté le surcoût qui résultait de l’entente sur leurs prix de vente finaux ;
- un effet d’ombrelle, en relevant que l’expertise économique des appelantes établit une hausse des prix finaux de Cora et Supermarché Match allant de 1,8 % à 2,8 % durant la période de l’entente, dans le sillage des agissements de l’entente ; et
- une perte de trésorerie (calculée au taux d’endettement des victimes), dès lors que les pertes subies par Cora et Supermarché Match du fait de l’entente les ont privées de disposer d’un capital certain, ce qui a nécessairement eu pour effet d’accroître dans le temps leurs besoins de financement – et donc leurs frais financiers.
Enfin, la Cour refuse de prononcer une condamnation solidaire des intimées, au motif que « l’espèce justifie de prendre en compte la gravité de [leur] implication » dans le cartel des Produits Laitiers : le préjudice est ainsi réparti entre Eurial, Novandie, L.N.U.F. et Lactalis.