Tribunal judiciaire de Paris, 3ème ch. 3ème section, 10 janv. 2020, Lafuma Mobilier S.A.S. c./ Alibaba (France), alibaba Group Holding Ltd., Alibaba.com Hong-Kong Limited, Alibaba Group Services Limited et Alibaba.com Singapore E-commerce
La lutte contre les contrefaçons, Une organisation et des outils pour mieux protéger les consommateurs et les droits de propriété intellectuelle, Cour des comptes, Février 2020
La société Lafuma Mobilier a constaté que des copies de certains de ses produits, en l’occurrence des fauteuils, étaient commercialisées par le biais d’annonces publiées sur le site de vente Alibaba. Elle a ainsi demandé au site de vente de procéder au retrait des annonces identifiées. Les annonces n’ayant pas été retirées promptement, le fabricant d’équipements a assigné en référé plusieurs sociétés du groupe Alibaba, le site ne comportant pas de mentions légales permettant d’identifier son éditeur.
Pour rappel dans cette affaire, une première ordonnance de référé avait été rendue le 21 novembre 2017 faisant injonction aux sociétés défenderesses de mettre en œuvre des mesures de retrait des annonces litigeuses. Le retrait des annonces interviendra en cours de procédure. L’ordonnance sera ensuite infirmée par la Cour d’appel de Paris le 25 janvier 2019 considérant qu’elle était en présence d’une contestation sérieuse.
Cette affaire a donc ensuite été portée au fond devant le tribunal judiciaire de Paris qui a rendu sa décision le 10 janvier 2020. La société Lafuma Mobilier a assigné les sociétés liées au site de vente Alibaba, à titre principal pour contrefaçon de marques, et à titre subsidiaire sur le terrain de la responsabilité issue de la loi pour la confiance dans l’économique numérique.
Le tribunal a d’abord tranché un aspect procédural relatif à la mise en cause des sociétés liées au site de vente en ligne. En l’absence de mentions légales au sein du site litigieux, Lafuma Mobilier a assigné un ensemble de sociétés du groupe Alibaba. Le tribunal a d’abord souligné l’absence de mentions légales au sein du site, obligatoires au titre de la loi pour la confiance dans l’économique numérique. Le tribunal a surtout considéré que les sociétés du groupe Alibaba ont entretenu au cours des différents contentieux la confusion sur la société responsable du site et que, par conséquent, aucune d’elles ne devait être mise hors de cause.
Concernant spécifiquement la responsabilité des sociétés du groupe Alibaba, le tribunal a d’abord rejeté les demandes au titre de la contrefaçon de marque en considérant que l’usage d’une marque par une place de marché numérique au sein d’annonces n’est pas un usage illicite ni même un usage à titre de marque. Le tribunal a ensuite jugé que le litige devait être analysé au regard de la responsabilité des prestataires intermédiaires afin de déterminer si les défenderesses sont intervenues de manière pro-active dans la publication des annonces ou si elles peuvent bénéficier du régime allégé de responsabilité de l’hébergeur.
Après une analyse des différents services proposés, le tribunal a conclu que ces services en ligne n’ont qu’une finalité technique et logistique pour permettre le fonctionnement du site Alibaba et permettre aux visiteurs de trouver ce qu’ils recherchent. Selon le tribunal, les sociétés du groupe Alibaba n’ont ainsi pas de rôle actif, notamment éditorial, dans la plateforme et leur responsabilité ne saurait donc être recherchée en tant qu’éditeur.
Le tribunal a ensuite dû déterminer si le retrait du contenu litigieux dans un délai de 3 mois était de nature à engager la responsabilité de l’hébergeur. Le tribunal rappelle d’abord que l’hébergeur n’est pas soumis à une obligation générale de surveillance des informations qu’il stocke et que sa responsabilité ne sera engagée que si, ayant pris connaissance du caractère illicite des données stockées, il n’a pas promptement retiré ou rendu inaccessibles ces données. En l’espèce, le tribunal a considéré sans surprise que la suppression de l’annonce dans un délai de 3 mois ne constitue pas un prompt retrait et engage donc la responsabilité de l’hébergeur.
Il ressort de cette décision que la détermination de la qualité d’éditeur ou d’hébergeur est d’une importance cruciale pour les sites de vente en ligne, notamment au regard de leur responsabilité concernant des articles contrefaisants qui pourraient y transiter.
Signalons que dans un rapport de février 2020, la Cour des comptes a adopté 11 recommandations afin de lutter contre la contrefaçon. Spécifiquement, la Cour des comptes plaide pour une révision des obligations juridiques des plateformes numériques qui pourrait selon elle se faire par la révision de la Directive sur le commerce électronique 2000/31/CE. Dans son rapport, la Cour insiste sur le caractère imprévisible du régime actuel et ses difficultés d’application. Parmi les approches envisagées, la Cour soulève l’éventualité du maintien de la summa diviso actuelle (éditeur/hébergeur) tout en assignant aux hébergeurs une obligation de vigilance renforcée, sur le modèle de la Directive droit d’auteur 2019/790. Selon la Cour, les plateformes continueraient de bénéficier d’un régime de responsabilité allégé sans obligation générale de surveillance du contenu, tout en devant faire leurs meilleurs efforts pour mettre en œuvre des mesures de vigilance contre la contrefaçon. Parmi ces mesures, l’on trouve notamment la mise en place d’outils de reconnaissance, de vérifications de l’identité des vendeurs ainsi qu’une information plus complète des consommateurs.