CJUE 19 mai 2019, aff. C-466/20
Sur le fondement de l’article 9 de la directive 2008/95/CE rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, le titulaire d’une marque antérieure qui a toléré, dans un État membre, l’usage d’une marque postérieure enregistrée dans cet État membre pendant une période de cinq années consécutives en connaissance de cet usage ne peut plus demander la nullité ni s’opposer à l’usage de la marque postérieure sur la base de cette marque antérieure pour les produits ou les services pour lesquels la marque postérieure a été utilisée, à moins que le dépôt de la marque postérieure n’ait été effectué de mauvaise foi.
Dans un arrêt rendu le 19 mai 2022, la Cour de Justice de l’Union Européenne a apporté des précisions quant aux causes d’interruption du délai de forclusion dans le cadre d’un litige opposant la société Heitec, requérante et titulaire d’une marque verbale de l’Union Européenne HEITEC déposée le 18 mars 1998, à la société Heitech notamment titulaire d’une marque figurative de l’Union Européenne comportant l’élément verbal « HEITECH » déposée le 6 février 2008.
Après avoir eu connaissance de cette marque postérieure, la requérante a adressé le 22 avril 2009 une lettre de mise en demeure à son titulaire qui a proposé un accord de coexistence. Refusant cette proposition, la requérante a déposé le 31 décembre 2012 un acte introductif d’instance devant le tribunal régional de Nuremberg-Fürth en Allemagne. Toutefois, les originaux de l’acte introductif n’avaient pas été déposés et ne sont parvenus à ladite juridiction que le 22 février 2014.
Dans ces circonstances, ce n’est que le 16 mai 2014 que le tribunal a ouvert la procédure écrite préparatoire et ordonné que soient signifiées aux parties défenderesses des copies établies par cette juridiction de l’acte introductif d’instance, signification qui a eu lieu le 23 mai 2014.
La requérante a alors présenté à titre principal, des demandes fondées sur l’atteinte portée aux droits que lui confère son nom commercial HEITEC et, à titre subsidiaire, des demandes fondées sur la contrefaçon de sa marque de l’Union européenne HEITEC.
Déboutée en première instance, la requérante a fait appel de la décision devant le tribunal régional supérieur de Nuremberg qui a considéré que le recours juridictionnel formé par la requérante était dépourvu de fondement au motif que la requérante était forclose car elle aurait toléré l’usage du signe postérieur pendant une période ininterrompue de cinq ans sans prendre de mesures suffisantes pour le faire cesser. En effet, selon cette juridiction, le recours juridictionnel n’aurait pas interrompu le délai de forclusion dès lors qu’il a été signifié cinq ans après l’envoi de la mise en demeure.
Un pourvoi a alors été formé devant la Cour fédérale de justice allemande qui a sursis à statuer pour poser les questions préjudicielles suivantes à la Cour de Justice de l’Union Européenne :
« 1) Est-il possible d’exclure la tolérance, au sens de l’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive 2008/95 ainsi que de l’article 54, paragraphes 1 et 2, et de l’article 111, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, non seulement par l’introduction d’un recours devant une administration ou une juridiction, mais aussi par un comportement qui ne fait pas intervenir d’administration ou de juridiction ?
2) En cas de réponse positive à la première question : Une mise en demeure, par laquelle le titulaire du signe antérieur, avant d’engager une procédure juridictionnelle, exige du titulaire du signe postérieur que celui-ci s’engage à s’abstenir d’utiliser le signe en cause et souscrive à une clause pénale prévoyant une sanction contractuelle en cas de non-respect, constitue-t-elle un comportement qui fait obstacle à une tolérance, au sens de l’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive 2008/95 ainsi que de l’article 54, paragraphes 1 et 2, et de l’article 111, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 ?
3) Pour calculer, dans le cas d’un recours juridictionnel, le délai de forclusion par tolérance de cinq ans visé à l’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive 2008/95 ainsi qu’à l’article 54, paragraphes 1 et 2, et à l’article 111, paragraphe 2, du règlement n o 207/2009, convient-il de se fonder sur la date de dépôt de l’acte introductif d’instance devant le tribunal ou sur la date de sa réception par le défendeur ? Le fait que la réception par le défendeur se trouve retardée, par la faute du titulaire de la marque antérieure, jusqu’à une date postérieure à la date d’expiration du délai de cinq ans revêt-il à cet égard de l’importance ?
4) La forclusion en vertu de l’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive 2008/95 ainsi que de l’article 54, paragraphes 1 et 2, et de l’article 111, paragraphe 2, du règlement n o 207/2009 affecte-t-elle, outre la demande en cessation, également les demandes annexes fondées sur le droit des marques, notamment les demandes de dommages et intérêts, de renseignements et de destruction ? »
Sur les deux premières questions, la Cour considère que l’introduction d’un recours exprime sans ambiguïté la volonté du titulaire de la marque antérieure de s’opposer à l’usage de la marque postérieure. Toutefois, la Cour confirme que lorsqu’une mise en demeure par laquelle le titulaire d’une marque antérieure s’oppose à l’usage d’une marque postérieure n’est pas suivie de démarches nécessaires pour obtenir une solution juridiquement contraignante, la mise en demeure ne permet pas d’interrompre le délai de forclusion.
Sur la troisième question concernant la date à laquelle un recours juridictionnel doit être réputé introduit, la Cour considère que cette date peut être celle du dépôt de l’acte introductif d’instance à la condition que la partie requérante n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’elle était tenue de prendre pour que cet acte soit notifié ou signifié à la partie défenderesse. Ainsi, la Cour affirme que si la régularisation n’a lieu qu’après l’expiration du délai de forclusion, il incombe à la juridiction d’apprécier si ce retard est dû à un comportement négligent de la partie requérante. En conséquence, en cas de manque de diligence, la partie requérante ne saurait prétendre avoir mis un terme à la tolérance de l’usage de la marque postérieure.
Enfin, sur la quatrième question, la Cour considère qu’être forclos pour demander la cessation de l’usage de la marque contestée ne permet pas de demander des mesures annexes ou connexes telles que des demandes de dommages et intérêts, la fourniture de renseignements ou la destruction de produits.