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CA Lyon, 4ème Ch., 21 juin 2012

Le Conseil institutionnel avait dans sa décision du 16 septembre 2011 émis une réserve de constitutionnalité sur le régime de responsabilité du producteur de services de communication électronique aux conséquences limitées.

En effet, le Conseil constitutionnel avait rappelé dans sa décision du 16 septembre 2011 que le producteur d’un site Internet était perçu comme la personne qui avait pris l’initiative de créer un service de communication en public en ligne en vue d’échanger des opinions sur des thèmes définis à l’avance et que cette personne ne pouvait opposer, ni le fait que les messages mis en ligne n’avaient pas fait l’objet d’une fixation préalable, ni l’absence d’identification de l’auteur de message pour échapper aux poursuites comme pouvait le faire désormais le directeur ou le co-directeur de la publication compte tenu de la modification apportée par la loi du 12 juin 2009 à l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982.

 

Le Conseil avait ainsi énoncé qu’il n’y avait pas lieu de considérer que le régime de responsabilité spécifique introduisait une présomption de culpabilité contraire aux articles 9 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

 

Le Conseil semblait ainsi consacrer les critères dégagés par les décisions des juridictions du fond prévoyant que le régime de responsabilité spécifique du producteur s’applique dès lors que le producteur est assimilé au créateur et à l’animateur d’un site de communication public en ligne mettant à la disposition du public des messages adressés par des internautes et que ce dernier a fait montre d’une activité réelle et effective quant à la création et l’animation de ce site de communication en procédant par exemple, à la détermination de thèmes de discussions, en participant à ces discussions en tant qu’administrateur, voire, modérateur, et en relançant les différents thèmes de discussions susceptibles d’être tenus sur le forum.

 

La décision du Conseil constitutionnel avait donc conduit à un nouveau renvoi de l’affaire pour laquelle il avait été saisi devant la Cour d’appel de Lyon et c’est par cet arrêt du 21 juin 2012 que la Cour confirme l’engagement de la responsabilité du producteur d’un forum de discussions notamment du fait de son rôle de modérateur.

 

Par une motivation fondée sur les déclarations du créateur et animateur du site et de son épouse dont l’adresse IP était utilisée pour créer le site, la Cour rappelle que le créateur du site consultait le forum tous les jours et qu’il avait procédé à la modération de ce dernier en retirant certains messages qu’il avait estimé dépourvus de justificatifs ou mettant en cause des individus dans des termes inacceptables tout en estimant ne pas être en mesure d’apprécier si les messages sur le forum étaient diffamatoires ou non.

 

Le créateur du site avait ainsi laissé dix messages visés dans les faits de la prévention car il ne les avait pas estimés diffamatoires.

 

C’est donc du fait des interventions effectuées de son propre aveu sur les autres messages du forum que la responsabilité de son créateur va être engagée en sa qualité de producteur.

 

L’intervention régulière sur le contenu des échanges et dans la suppression des propos diffusés sur le site lorsque ceux-ci étaient jugés par le créateur du site comme pouvant être insultants ou sortir du sujet professionnel concerné par ce forum, caractérise un rôle actif.

 

La contradiction de l’argumentation du créateur du site consistant à avoir supprimé régulièrement des messages qui lui étaient apparus injurieux, et d’autre part avoir reconnu être l’auteur des messages subsistants sans pour autant avoir la compétence juridique pour apprécier s’ils étaient diffamatoires et en avouant en avoir eu connaissance compte de la périodicité de sa consultation du forum, conduit la Cour à infirmer le jugement déféré et à condamner en sa qualité de producteur le créateur du forum, la Cour retenant que ce dernier avait connaissance des messages diffamatoires constituant les faits de la prévention.

 

La Cour retient ainsi que la qualité d’administrateur et de modérateur du forum de discussions engage la responsabilité non seulement du contenu des messages émis sous les pseudonymes utilisés par le créateur du site mais également au titre des messages émis par les utilisateurs et expressément visés dans la plainte initiale.

 

La Cour retient pour le surplus que si les discussions s’intègrent dans une polémique syndicale celle-ci n’autorise toutefois pas la stigmatisation de l’attitude patronale par l’imputation d’agissements illégaux, déloyaux, malhonnêtes, ou malveillants portant par suite atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne morale mise en cause.

 

La Cour analyse au visa de l’article 10 § 1 de la CEDH les propos dans le contexte de la lutte syndicale animée de multiples épisodes judiciaires. La Cour rappelle que si le droit de libre critique dans le cadre syndical autorise la stigmatisation de certains aspects désavantageux du statut des gérants de certains magasins de l’enseigne de grande distribution et la critique des positions de la direction face à ces difficultés, il n’autorise pas à imputer aux dirigeants des comportements répréhensibles ou malveillants à l’égard des gérants ; les propos incriminés sont donc jugés comme excédant incontestablement les limites de la libre critique qu’autorise l’expression syndicale dans le cadre d’un forum de discussion public.

 

La diffamation est donc retenue et la responsabilité du producteur engagée.

 

Armelle FOURLON

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