L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Poitiers le 9 juillet 2024 a été l’occasion d’un examen minutieux des conditions de qualification d’un contrat de franchise au travers de l’analyse des trois conditions cumulatives qui font l’essence de cette convention.
Les faits étaient les suivants. La société H, spécialisée dans la réalisation de travaux d’installation électrique, avait conclu avec la société Groupe Corede Bât un contrat de licence de marque pour une durée de 3 ans. En contrepartie du paiement d’un droit d’entrée et d’une redevance mensuelle, outre l’acquisition de 5% des parts sociales de la société H, la société Groupe Corede Bât s’était engagée à mettre à la disposition de son contractant des documents publicitaires, financiers et administratifs et divers matériels comme des panneaux de chantier et des supports, assortis de signes distinctifs, à le faire bénéficier d’un savoir-faire spécifique et original et à lui fournir des conseils ainsi qu’une assistance technique et commerciale par le biais de l’utilisation d’une centrale d’achat pour les matériels et matériaux utilisés.
La société H a cessé le règlement de la redevance au bout du deuxième mois d’exécution du contrat entraînant l’assignation par la société Groupe Corede Bât. Devant les premiers juges puis en appel, la société H a soutenu la requalification du contrat de licence de marque en contrat de franchise et a sollicité son annulation pour « défaut de cause ». Autrement dit, elle considérait que les contreparties de ses obligations contractuelles, fournies par la société Groupe Corede Bât, étaient en réalité illusoires ou dérisoires.
Le Tribunal puis la Cour d’appel lui ont donné raison. Selon les juges, l’analyse des engagements réciproques des deux sociétés devait conduire à qualifier la convention signée de contrat de franchise et non pas de contrat de licence de marque. En effet, la société Groupe Corede Bât devait mettre à la disposition de la société H sa marque « Groupe Corede Bât » présentée comme un signe distinctif et la société H devait exploiter son activité sous cette marque. La société Groupe Corede Bât s’était également engagée à transmettre un savoir-faire spécifique et original à la société H. Enfin, la société Groupe Corede Bât devait lui fournir une assistance commerciale et technique impliquant des conseils, la mise à disposition de supports et documents commerciaux, administratifs, financiers et publicitaires, et lui donner l’accès à sa centrale d’achat pour ses besoins de fournitures en matériel et matériaux. Ces trois éléments justifiaient la requalification en contrat de franchise. De plus, les juges ont constaté que la marque brandie par la société Groupe Corede Bât était en réalité dépourvue de toute notoriété et qu’elle ne pouvait donc pas justifier, à elle seule, le règlement d’un droit d’entrée et d’une redevance mensuelle, ce qui confirmait l’exclusion de la qualification de contrat de licence de marque.
Les juges ont ensuite procédé à l’examen des engagements réellement assumés par la société Groupe Corede Bât pour évaluer si ces engagements constituaient bien une contrepartie non illusoire et non dérisoire aux engagements financiers pris par la société H. Cet examen revenait à analyser peu ou prou « la cause » des obligations de la société Groupe Corede Bât telle qu’elle existait avant la réforme du droit des obligations issue de l’ordonnance du 10 février 2016.
S’agissant de la marque, les juges ont retenu que la marque « Groupe Corede Bât » était dénuée de toute notoriété et de tout caractère distinctif et qu’elle ne procurait pas à la société H le profit que ses engagements financiers impliquaient. En effet, la marque n’avait été déposée que quelques mois plus tôt et était, au moment de la signature du contrat, encore en cours d’enregistrement. De plus, la société Groupe Corede Bât ne disposait d’aucune succursale, ni filiale, ni licenciée et son réseau d’agences était en cours de constitution, selon les termes mêmes du contrat.
S’agissant de la transmission du savoir-faire spécifique et original, les juges l’ont également écartée au motif que l’activité de la société Groupe Corede Bât était très réduite, que son expérience était très limitée (quelques chantiers de boutiques et de maisons) et que son seul personnel était constitué de deux animateurs peu expérimentés. Dans ces conditions, aucun savoir-faire spécifique substantiel ne pouvait être transmis.
S’agissant enfin de l’assistance et des conseils, la mise à disposition de cartes de visite, de vêtements professionnels, de panneaux de chantier et d’un véhicule comportant un flocage publicitaire d’entreprise ne suffisait pas à caractériser cette exigence. Le contrat de franchise ainsi requalifié a donc été déclaré nul pour « contrepartie illusoire ou dérisoire ».