CJUE, Atresmedia Corporación de Medios de Comunicación, 18 novembre 2020, C-147/19
Deux sociétés de gestion collective espagnoles (Asociacion de Gestion de Derechos Intelectuales – AGEDI et l’Artistas Intérpretes o Ejecutantes, Sociedad de Gestión de España – AIE), ont attaqué une chaine de télévision aux fins d’obtenir le versement de la rémunération équitable due au titre d’actes de communication au public de phonogrammes, ou de la reproduction de ceux-ci au sein d’œuvres audiovisuelles diffusées entre 2003 et 2009, par application de l’article 8§2 de la directive n°2006/115 (anc. n°91/100) relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle.
La Cour de Justice devait trancher le point de savoir si la reproduction d’un phonogramme au sein d’un enregistrement audiovisuel doit se comprendre comme la « reproduction d’un phonogramme publié à des fins de commerce » au sens de l’article 8§2 de la directive n°2006/115 et entrainer le versement d’une rémunération équitable aux titulaires de droits.
La Cour commence par rappeler que la rémunération équitable représente la contre-prestation de l’utilisation d’un phonogramme commercial lors de sa radiodiffusion ou de sa communication au public. La rémunération équitable est déclenchée par la radiodiffusion du phonogramme, la communication au public de son interprétation, par l’exécution de l’œuvre fixée sur le phonogramme ou sa reproduction (CJUE, 8 septembre 2020, Recorded Artists Actors Performers, C?265/19).
Pour répondre à cette question préjudicielle, la Cour revient sur les définitions de « phonogramme » et de « reproduction d’un phonogramme » constatant que la directive sur le droit de prêt ne prend pas le soin de définir ces deux notions.
Concernant la définition d’un phonogramme, la directive n°2006/115 ayant harmonisé les notions fondamentales du droit d’auteur au sens des instruments conventionnels, son article 8§2 doit être interprété à la lumière de la Convention de Rome sur les droits voisins du 26 octobre 1961 mais également du Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécution et les phonogrammes (« TIEP ») du 16 mars 2000.
D’après l’article 3b) de la Convention de Rome, un phonogramme représente « toute fixation exclusivement sonore des sons provenant d’une exécution ou d’autres sons ». Tandis que l’article 2b) du TIEP définit un phonogramme comme la « fixation des sons provenant d’une interprétation ou exécution ou d’autres sons, ou d’une représentation de sons autre que sous la forme d’une fixation incorporée dans une œuvre cinématographique ou une autre œuvre audiovisuelle ».
Dès lors la fixation de sons incorporée dans une œuvre audiovisuelle ou cinématographique ne saurait être qualifiée de phonogramme par application de ces dispositions. Cette interprétation est également confirmée par le fait que l’incorporation desdits phonogrammes a été autorisée par les titulaires de droits en contrepartie d’une rémunération contractuellement prévue.
Pour ce qui concerne l’acte de reproduction d’un phonogramme, la Cour adopte la même démarche, constatant que la Convention de Rome la définit comme « la réalisation d’un exemplaire ou de plusieurs exemplaires d’une fixation ». En conséquence, la fixation d’un phonogramme au sein d’une œuvre audiovisuelle ne saurait constituer un nouvel exemplaire de ce phonogramme.
La Cour en conclut que « dans ces conditions, il y a lieu de considérer qu’un enregistrement audiovisuel contenant la fixation d’une œuvre audiovisuelle ne saurait être qualifié de « phonogramme » ou de « reproduction de ce phonogramme », au sens de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 92/100 ou de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115. » et que par conséquent la communication au public de cet enregistrement n’ouvre pas droit à une rémunération équitable.
Cet arrêt n’aura pas de conséquence sur la perception et la répartition des droits en France car il confirme en tout point une solution précédemment affirmée par la Cour de cassation, selon laquelle le phonogramme incorporé dans un vidéogramme ne relève pas de la rémunération équitable, mais du régime d’autorisation prévu aux articles L.212-3 et suivants du Code de la propriété intellectuelle (Civ 1ère, 16 novembre 2004, n°02-17.568). Ainsi l’incorporation d’un phonogramme dans une œuvre audiovisuelle requiert l’accord du producteur phonographique ou de sa société de gestion collective s’il en a fait l’apport pour certains types d’œuvres. Dans un arrêt plus récent, du 15 Mars 2017, la Cour de cassation a également jugé que « l’incorporation d’un phonogramme publié à des fins de commerce dans un autre support, pour la réalisation d ‘une publicité sonore est soumise à autorisation de l’artiste-interprète et du producteur » et ne relève pas de la licence légale.