CA Paris, Pôle 5 – Ch. 2, 3 décembre 2021, n°20/04760 ; Cour de cassation, 1ère ch. Civ., 8 mars 2023,
n°22-13.854
Charles Trenet, auteur-compositeur-interprète français, décède en 2001 en désignant pour seul héritier Georges El Assidi son secrétaire et ami pendant une vingtaine d’années.
Comme tout auteur, il dispose sur ses œuvres de droits :
- Tout d’abord, il dispose du droit moral selon l’article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle. En qualité de légataire universel, Georges El Assidi est ainsi titulaire du droit moral sur les œuvres de Trenet.
- Par ailleurs, l’auteur ou ses ayants-droits disposent de droits patrimoniaux, c’est-à-dire de droits permettant d’exploiter, communiquer l’œuvre sous quelque forme que ce soit.
Concernant ces droits patrimoniaux, Georges El Assidi a conclu un contrat de cession avec un éditeur qui a lui-même délégué la gestion des droits correspondants à la SACEM.
Or, en 2017 le légataire constate l’existence de boites à musiques à manivelle commercialisées sur Internet incorporant des chansons emblématiques de Charles Trenet, « La Mer »,« Y a d’la joie », « Je Chante » et « Douce France » . Ces boites étaient conçues par la société PML et commercialisées par l’intermédiaire de ses distributeurs.
Le titulaire du droit moral assigne le fabricant devant la juridiction des référés ; il a été déclaré recevable mais mal fondé en ses demandes, faute d’établir la matérialité de la contrefaçon alléguée ou l’atteinte au droit moral dès lors que les boîtes à musiques litigieuses n’étaient pas produites au débat. Il a ensuite été débouté par le tribunal de grande instance de Paris et a alors interjeté appel.
Devant la cour d’appel le fabricant soutient qu’il s’est rapproché de l’éditeur et a payé des droits à la SACEM sans pour autant demander d’autorisation au titre du droit moral de l’auteur à son héritier.
Pourtant, contrairement aux allégations du fabricant et selon la juridiction d’appel, « la mélodie de 12 secondes audible depuis les boîtes à musiques n’est pas une simple reproduction fragmentée des œuvres pour lesquelles les autorisations de la SACEM et de la société Editions Raoul B. étaient suffisantes mais un arrangement musical particulier, transformant l’œuvre première et la banalisant, et portant atteinte au droit moral de l’auteur et requérant ainsi son autorisation ou celle de son ayant-droit ».
En raison de cette atteinte au droit moral et des éléments versés au débat, le montant des dommages et intérêts propres à indemniser ce préjudice a été fixé à 1.500 euros par modèle, soit 6.000 euros au total. Par ailleurs la commercialisation de ces boites a été interdite et la destruction des stocks prononcée.
À la suite de cette décision, le fabricant s’est pourvu en cassation mais celui-ci a été rejeté le 8 mars 2023. L’arrêt rappelle que la Cour d’appel a retenu que la musique était un arrangement musical dénué de paroles constituant une simplification extrême de la mélodie originelle, qu’elle variait nettement en fonction de la vitesse et pouvait ainsi être inaudible, pour en déduire que cette simplification excessive transformait l’œuvre et la banalisait et n’était pas une simple reproduction fragmentée des œuvres pour lesquelles les autorisations de la SACEM et de l’éditeur auraient été suffisantes.
L’atteinte au droit moral d’un auteur est ainsi reconnue par la Cour en cas de reproduction de ses œuvres dans des boites à musiques en transformant l’œuvre.
Olivia de VALBRAY