La sensualité opposée à l’érotisme : les droits d’auteur d’Aristide Maillol victimes des chevauchées lascives de Laetitia Casta
Le Tribunal est saisi à la requête de l’ADAGP et des ayants-droit d’Aristide Maillol à l’encontre d’une publication diffusée par le magazine Purple Fashion Magazine accessible sur le site internet, tous deux édités par la société Purple Institute. La publication comporte des photographies en couverture et en pages intérieures, en pleine page et en couleur du mannequin Laetitia Casta enlaçant et chevauchant des sculptures intitulées « La Montagne », « Trois Nymphes », « La jeune fille allongée », « La rivière » et « Flore », oeuvres d’Aristide Maillol situées au Carrousel du Louvre dans le jardin des Tuileries.
Deux chefs de préjudices sont invoqués résultant de la violation des droits patrimoniaux et du droit moral de l’auteur.
Au premier chef, le Tribunal énonce que chacune de ces photographies représente une œuvre d’Aristide Maillol de façon nette et permettant son identification.
Selon leurs descriptifs, le célèbre mannequin est situé à proximité immédiate de chacune des œuvres de Maillol, et la mise en scène de chaque photographie vise à instaurer un jeu entre le modèle, aux positions et attitudes érotiques, et une sculpture de femme nue ou légèrement vêtue.
Le Tribunal relève l’interaction évidente entre les œuvres du sculpteur qui occupe une place aussi centrale que le mannequin dans les clichés et qui en sont, tout autant, le sujet que le mannequin lui-même, les tenues vestimentaires de ce mannequin constituant un simple décor et leur apparition paraissant fortuite et accessoire.
Le Tribunal écarte les arguments liés au fait que les sculptures se trouvent dans un lieu public et à celui tenant à la proximité du terme de la durée des droits de protection patrimoniaux d’auteur, cela ne justifiant pas à l’évidence une atténuation ou une suppression des droits patrimoniaux et le Tribunal soulignant même s’étonner qu’une entreprise de presse puisse le soutenir. Le Tribunal condamne en conséquence la société Purple Institute à verser au titre de la violation des droits patrimoniaux de l’auteur, la somme de 50.000 euros en réparation de l’atteinte ainsi subie. Le préjudice patrimonial est évalué au regard d’une part du tirage du magazine dont atteste l’imprimeur de la défenderesse et d’autre part des constatations fournies par l’ADAGP concernant la présence sur le site de la défenderesse de la couverture du magazine, de la vente sur ce site de la version imprimée et digitale du magazine ainsi qu’en considération du nombre de vues des pages du magazine tel que ressortant du relevé « Google Analytics », l’ensemble des pages considéré ne pouvant être retenu mais le Tribunal relevant que l’internaute qui aura voulu accéder à l’une des pages intérieures du magazine aura, à tout le moins, vu la couverture du magazine, laquelle est contrefaisante.
Sur le fondement de l’atteinte au droit au respect dû à l’œuvre, attribut du droit moral de l’auteur, le Tribunal rentre dans un descriptif propre à l’impression donnée par les clichés, opposant la sensualité ressortant des sculptures d’Aristide Maillol et les poses explicitement érotiques voire sexuelles du mannequin chevauchant et enlaçant lesdites statues. Les sculptures sont qualifiées comme empreintes de classicisme, ce qui, selon le Tribunal se distinguerait clairement de la mise en scène choisie par le photographe et du caractère érotique et sexuel des poses du mannequin.
Une atteinte partielle au droit à la paternité de l’auteur est également retenue, le nom de l’artiste étant omis à l’exception de l’un des clichés le faisant apparaître sur le socle de la statue et de la citation du nom de l’auteur dans l’éditorial du magazine évoquant la présence d’un de ses nus en couverture.
Les sanctions prononcées au titre de ces atteintes aux deux attributs du droit moral de Maillol donnent lieu à l’attribution d’une somme de 50.000 euros de dommages et intérêts au bénéfice des ayants-droit.
La résistance de la société éditrice du magazine, à la suite de l’envoi de la mise en demeure de l’ADAGP, conduit le Tribunal à assortir l’ensemble des condamnations des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de ladite lettre.
L’ADAGP est, en revanche, déboutée de sa demande visant à revendiquer une mention de copyright et l’apposition du logo ADAGP sur les photographies, sa qualité de gestionnaire des droits patrimoniaux ne lui permettant pas de disposer d’un droit de paternité.
Les condamnations sont assorties d’une mesure d’interdiction d’exploitation des photographies litigieuses et de l’exécution provisoire.
Le Tribunal refuse ainsi à Laetitia Casta, alors qu’elle fut par ailleurs le symbole républicain de Marianne, le statut d’incarnation moderne, à travers ces poses lascives, des modèles de femmes rondes et sensuelles de Maillol, posant la question inquiétante de la possible conciliation entre les œuvres d’arts appartenant à des siècles différents.
Armelle FOURLON
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