La position d’un intermédiaire technique est parfois délicate : en cas de doute avéré sur la licéité d’un contenu diffusé par son intermédiaire, faut-il (i) suspendre/arrêter immédiatement la diffusion de ce contenu et prendre le risque d’une action de la part de celui qui voit son contenu arrêté d’être diffusé ou (ii) d’y être enjoint par une décision valant force de chose jugée et prendre le risque de voir prospérer la diffusion de contenus (manifestement) illicites ?
La société Eutelsat, qui gardait sans doute en tête sa difficile expérience lors de l’affaire « Al-Manar », a opté pour la première solution dans cette affaire concernant la chaîne de télévision Roj TV.
Par un communiqué en date du 19 janvier 2012, la société EUTELSAT, opérateur spécialisé dans la transmission par satellite de chaînes de télévision et de radio, déclarait avoir demandé aux distributeurs diffusant Roj TV de suspendre sa diffusion, suite à une décision rendue par le Tribunal de Copenhague, saisi par le Ministère public danois, aux termes de laquelle cette chaîne présenterait « tant au regard de leurs liens financiers que structurels et opérationnels » des liens avec le PKK.
La chaîne contestait cette décision, considérant que celle-ci était contraire à la présomption d’innocence, le jugement rendu par le Tribunal de Copenhague n’étant pas définitif, et a donc assigné différentes sociétés du groupe Eutelsat aux fins de leur enjoindre de reprendre la diffusion.
En première instance, le Tribunal de grande instance avait considéré n’y avoir lieu à référé et avait donc rejeté les demandes de la chaîne, laquelle a interjeté appel de cette décision.
Outre des questions d’ordre procédural (la Cour confirmant notamment que le Tribunal de Commerce aurait du être saisi au lieu et place du Tribunal du Grande Instance), la Cour d’appel a statué au principal et a confirmé l’analyse du Tribunal.
En effet, reprenant les termes des articles 809 alinéa 1 et 873 du code de procédure civile, la Cour a recherché si au soutien de sa demande, la chaîne justifiait d’un dommage imminent causé par un trouble manifestement illicite. A ce titre, la Cour a précisé qu’il fallait que soient constatées « l’imminence d’un dommage, d’un préjudice ou la méconnaissance d’un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines », ce qui n’était pas le cas en l’espèce, la Cour considérant que la chaîne conservait la possibilité d’agir pour voir reprendre la diffusion de la chaîne à l’issue de la procédure danoise.
S’agissant de l’atteinte alléguée à la présomption d’innocence, la Cour a confirmé le bien fondé de la décision d’Eutelsat consistant à suspendre la diffusion de la chaîne suite à une décision pénale, certes non définitive, aux seules fins de s’assurer que la présence de cette chaîne sur ses satellites ne la rendait pas complice d’une activité terroriste.
Par conséquent, la Cour a rejeté les demandes de la chaîne, estimant n’y avoir lieu à référé.
Si chaque espèce est distincte, il convient de relever que la suspension est, dans cette affaire, considérée par la Cour comme une solution intermédiaire entre le respect de la présomption d’innocence et le risque de voir diffuser un contenu illicite, la diffusion pouvant, le cas échéant, reprendre rapidement.
Olivier HAYAT