La vie privée des salariés face au droit à la preuve de l’employeur
Par deux décisions rendues le 4 octobre 2023 (n°22-18217 et n°21-25452), la Cour de cassation juge que la production de photographies issues d’un compte Messenger privé d’une salariée peut être recevable.
En l’espèce, deux infirmières, travaillant dans un hôpital, ont participé à une séance photo en maillot de bain sur leur lieu de travail, au cours d’une soirée alcoolisée, et pendant leurs horaires de travail. Après avoir eu accès à des photos et des vidéos, partagées sur un compte Messenger privé, dont il ne faisait pas partie, l’employeur les a licenciées pour faute grave.
Afin de contester leurs licenciements, les salariées faisaient valoir que la production des photographies litigieuses portait atteinte à leur vie privée. La question de la recevabilité d’un tel mode de preuve a ainsi été portée devant la Cour de cassation.
En effet, la preuve de la faute d’un salarié, justifiant son licenciement, doit être obtenue de façon loyale et licite. A contrario, si la preuve a été obtenue par des procédés déloyaux ou illicites (notamment parce qu’elle porte atteinte à la vie privée), le licenciement est abusif. Cependant, il existe des exceptions où la preuve illicite (voire déloyale depuis l’arrêt de l’assemblée plénière du 22 décembre 2023, n°20-20648) est admise devant le juge prévalant ainsi sur le droit à la vie privée du salarié.
Ainsi, dans ses arrêts du 4 octobre 2023 ici commentés, la Cour de cassation rappelle le principe selon lequel l’illicéité d’un mode de preuve n’entraine pas nécessairement son rejet des débats, « le juge devant, lorsque cela lui est demandé, apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve ». Deux conditions doivent être réunies : la preuve apportée doit être indispensable à l’exercice de ce droit et l’atteinte doit être strictement proportionnée au but poursuivi.
En l’occurrence, la haute juridiction juge, à la lumière de ces principes, que la production des photographies issues du compte Messenger était proportionnée au but poursuivi c’est-à-dire la défense de « l’intérêt légitime de l’employeur à la protection des patients, confiés aux soins des infirmières employées dans son établissement ». En revanche, la Cour de cassation apprécie de manière souple la condition du caractère indispensable car elle juge les photographies et vidéos recevables alors même que d’autres éléments de preuve de comportements fautifs (introduction et consommation d’alcool au temps et sur le lieu de travail) étaient fournis par l’employeur (notamment des témoignages). La nature de la fonction exercée par les salariées ainsi que le milieu hospitalier semblent alors l’avoir emporté dans le contrôle des juges, ce d’autant que la participation à la séance photo en maillot de bain au temps et sur le lieu de travail n’était démontrée que par les photographies et vidéos litigieuses.
La portée de ces arrêts doit toutefois être modérée dans la mesure où le contrôle de proportionnalité opéré par la Cour de cassation ne conduit pas toujours à admettre une preuve illicite dans les débats. Ainsi, dans l’hypothèse où la preuve serait jugée irrecevable, le salarié pourra agir contre l’employeur pour atteinte à la vie privée ou encore à la correspondance privée (Cass, soc., 23 octobre 2019, n°17-28448) étant rappelé « qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail » (Cass. soc., 22 déc. 2023, n°21-11330). Dans les arrêts ici commentés, la Cour de cassation prend d’ailleurs soin de préciser que « dans la mesure où ces photos avaient été prises sur le lieu de travail et à destination d’une ancienne collègue de travail, elles relevaient de la sphère professionnelle et étaient légitimement produites aux débats et révélaient un comportement contraire aux obligations professionnelles de la salariée ».
Paola Auger