Cass. Com. 21 juin 2023, n°21-23.298, F-B
La Cour de cassation a rendu un arrêt le 21 juin 2023 dans lequel elle affirme que si les associés ont la liberté d’exercer une activité concurrente de celle de la société, ceux-ci ne doivent néanmoins pas abuser de la position d’égalité dans laquelle ils se trouvent à l’égard de leur coassocié. Cette jurisprudence libérale ne remet toutefois pas en cause les stipulations d’un éventuel pacte d’associés relatives à une obligation de non-concurrence plus stricte.
En l’espèce, deux sociétés de transport s’étaient associées au sein d’une société par actions simplifiée dans laquelle elles détenaient chacune moitié du capital. La direction de la SAS était assurée alternativement par l’une des sociétés associées tous les deux ans. Or lors d’une assemblée générale, l’une des sociétés associées avait refusé que soit répondu à la proposition de renouvellement d’un contrat de coordination du pilotage et de la gestion du transport des produits d’un fabricant. Parallèlement, elle avait mené des discussions occultes avec la société cocontractante pour le groupe auquel elle appartenait, et avait fini par obtenir le marché proposé.
Estimant ce comportement déloyal et infidèle, la société associée, ainsi que la société par actions simplifiée elle-même ont la liberté d’exercer une activité concurrente de celle de la société, ceux-ci , ont assigné la société ayant refusé l’offre de contrat en réparation de leur préjudice.
La Cour d’appel de Chambéry ayant rejeté cette demande[1], la société initialement demanderesse se pourvoit en cassation en se fondant sur un manquement au devoir de loyauté et un abus d’égalité.
Concernant le devoir de loyauté, la Cour de cassation confirme la position de la Cour d’appel en jugeant que, sauf stipulation contraire, l’associé d’une SAS n’est, en cette qualité, tenu ni de s’abstenir d’exercer une activité concurrente de celle de la société ni d’informer celle-ci d’une telle activité et doit seulement s’abstenir d’actes de concurrence déloyaux.
Ainsi, dans cet arrêt, la Cour reprend exactement l’attendu qu’elle avait formulé dans son arrêt de 2011 au sujet de l’associé d’une société à responsabilité limitée[2]. Elle clôt donc le débat qu’elle avait pu ouvrir en supprimant, dans trois arrêt successifs[3], la précision que l’associé n’était pas tenu « d’informer celle-ci [la société] d’une telle activité [concurrente de celle de la société] », ce qui avait pu laisser penser que la liberté de concurrence devait s’accommoder d’un minimum de loyauté, consistant à informer la société et les associés. La Cour effectue donc un retour à une conception étendue de l’absence d’obligation de non-concurrence, les seules limites à l’action des associés étant l’acte de concurrence déloyale et les dispositions d’un éventuel pacte d’associés.
Toutefois, lors de son examen du second moyen, elle considère que l’adoption de la règle de l’unanimité par la société du fait de l’existence même de deux associés à égalité était indifférente. Ainsi, contrairement à ce qu’affirmait la Cour d’appel, la société n’avait pas accepté l’hypothèse d’une mésentente conduisant à un blocage du fonctionnement de la société.
Cette précision faite, la Cour censure le raisonnement de la Cour d’appel et reprend la définition de l’abus d’égalité, affirmant que celui-ci est caractérisé dès lors qu’un associé à part égale empêche par son vote négatif une opération essentielle pour la société dans l’unique dessein de favoriser ses intérêts au détriment de l’autre associé.
Se faisant, elle transpose les critères de l’abus de minorité dont l’abus d’égalité est proche puisque la difficulté qu’ils provoquent est identique : le blocage de la prise de décision. En l’espèce, le refus de voter en faveur d’une opération importante voire essentielle pour favoriser les intérêts d’un tiers ami suffirait à caractériser l’abus d’égalité, qui demeure pourtant exceptionnel en jurisprudence.
Ainsi dans cet arrêt la Cour parvient-elle à une solution pondérée, qui semble valoir pour tous les actionnaires de sociétés par actions : ce qui ne peut être sanctionné sur le fondement de l’obligation de non-concurrence peut l’être sur le fondement de l’abus d’égalité.
[1] Cour d’appel de Chambéry, 28 septembre 2021
[2] Cass. Com. 15 nov. 2011, n°10-15.049
[3] Cass. Com. 19 mars 2013, n°12-14.407, Cass. Com. 10 sept. 2013, n°12-23.888 et Cass. Com. 3 mars 2015, n°13-25.237