L’affaire Autolib’ ou le difficile exercice de l’appréciation du caractère distinctif d’une marque
En l’absence de critères objectifs mis en œuvre par les juges du fond, l’appréciation du caractère distinctif d’une marque devient un exercice hautement aléatoire. L’affaire Autolib’ qui a donné lieu à des décisions contradictoires en est l’exemple. Le Code de la propriété intellectuelle dispose que, pour être protégeable à titre de marque, un signe doit être distinctif. A défaut, la marque encourt la nullité. Le Code nous enseigne également que le caractère distinctif du signe s’apprécie à l’égard des produits et services qu’il désigne, les juges du fond disposant à cet égard d’un pouvoir souverain d’appréciation.
L’absence de caractère distinctif d’une marque est un moyen utilisé tant en demande qu’en défense mais toute la difficulté réside dans son appréciation (qui doit s’effectuer à la date du dépôt). La contradiction de certaines décisions rendues sur cette question nuit à la lisibilité des critères mis en œuvre par les juges du fond comme le démontre une nouvelle fois l’affaire AUTOLIB’.
En l’espèce, deux sections de la 3ème chambre du Tribunal de grande instance de Paris se sont prononcées à quelques mois d’intervalle sur le caractère distinctif des marques verbales françaises et communautaire AUTOLIBERTE appartenant à la société Europcar internationale. Ces marques désignent notamment des véhicules et voitures ainsi que des services de transport et de location de voitures. Les deux décisions rendues en première instance aboutissent à des solutions totalement contraires puisque l’une a jugé les marques valides tandis que l’autre a prononcé la nullité desdites marques pour défaut de caractère distinctif.
Dans ces deux affaires, Europcar International et sa filiale française avaient assigné en contrefaçon de marque ainsi qu’en concurrence déloyale et parasitisme tout d’abord, la ville de Paris, titulaire de la marque « AUTOLIB’ », puis la société chargée de l’exploitation du service « AUTOLIB’ » pour la ville de Lyon. Et, dans les deux affaires, les défendeurs ont respectivement invoqué la nullité des marques AUTOLIBERTE pour défaut de caractère distinctif.
Dans l’affaire de la ville de Paris, le tribunal, suivi par la Cour d’appel de Paris dans son arrêt confirmatif du 29 juin 2012, a jugé la marque AUTOLIBERTE suffisamment distinctive. Les juges du fond relèvent (i) que le terme AUTOLIBERTE est un néologisme qui n’a aucune signification dans le langage courant pour désigner des services de location de voiture et (ii) que les pièces produites faisant état de l’usage des deux termes AUTO et LIBERTE dans des publicités antérieures au dépôt de la marque ne permettaient pas d’établir que ces termes correspondraient à un mode habituel de désignation de ce type de service ou de l’une de ses caractéristiques.
Dans l’affaire de la ville de Lyon, une décision contraire est rendue par une autre section de la 3e chambre du Tribunal de grande instance de Paris par jugement du 23 juin 2011. Dans cette affaire, les juges prononcent ainsi la nullité des marques « AUTOLIBERTE » d’Europcar pour défaut de caractère distinctif du signe désignant des services de location de véhicule. Pour cette section du tribunal, « le signe AUTOLIBERTE décrit à la fois la qualité et la destination du service proposé, la location de véhicules, à des conditions avantageuses en termes de liberté de choix comme de mouvement pour l’utilisateur ».
Le tribunal relève (i) que d’une façon générale l’idée de liberté est liée de longue date à la voiture et (ii) qu’il importe peu que le terme AUTOLIBERTE soit un néologisme qui n’ait aucune signification dans le langage courant pour désigner des services de location de voiture dès lors que les termes AUTO et LIBERTE qui le composent désignent bien une caractéristique des services dont il s’agit. Comme dans la précédente affaire, un appel a été interjeté qui ne devrait pas être examiné avant 2013.
L’insécurité juridique résultant de cette contrariété de décisions n’est pas sans conséquence compte tenu des condamnations prononcées à l’encontre de la ville de Paris au titre de la contrefaçon de marque, alors que la nullité des marques antérieures a été prononcée par une autre juridiction.
Il convient en effet de souligner que la Cour fait interdiction à la Ville de Paris d’utiliser à l’avenir la marque AUTOLIB’ dans le délai d’un mois à compter de la signification de l’arrêt sous astreinte de 1.000€ par infraction constatée et la condamne à payer une indemnité de 30.000 euros au titre du préjudice causé à Europcar par ses actes de contrefaçon.
Si les dommages-intérêts sont faibles, la mesure d’interdiction d’utilisation de la marque sous astreinte est évidemment extrêmement pénalisante pour la Ville de Paris.
La situation des sociétés Europcar n’est toutefois pas aussi favorable qu’on pourrait le penser car l’exécution de la décision de la Cour d’appel de Paris, en particulier en ce qui concerne les mesures d’interdiction, fait naître un risque significatif si l’annulation des marques AUTOLIBERTE prononcée dans l’instance parallèle concernant la ville de Lyon devait être confirmée.
Les sociétés Europcar auront tout intérêt à se montrer prudentes avant de solliciter l’exécution des condamnations prononcées à leur profit car une éventuelle annulation postérieure des marques pourrait entrainer la mise en jeu de leur responsabilité, à l’instar de ce qui a été récemment décidé dans une affaire de contrefaçon de brevet où le titulaire avait fait exécuter des mesures d’interdiction en se fondant sur un titre ultérieurement annulé [Netcom juin 2012].
Florence DAUVERGNE