L’affaire Eminem : de la bonne appréhension par le contrat des exploitations digitales
Cour d’appel fédérale du 9ème circuit du District de Californie, 3 septembre 2010
Le 3 septembre 2010, la Cour d’appel fédérale du 9ème circuit du district de Californie a tranché un litige opposant la société F.B.T., productrice du rappeur EMINEM, à la société AFTERMATH (appartenant au groupe UNIVERSAL MUSIC), titulaire des droits d’exploitation des enregistrements de l’artiste en vertu d’un contrat conclu en 2003 avec la société F.B.T. lequel se substituait à un précédent accord de 1998 tout en en reprenant, à l’exception d’une amélioration des conditions financières, l’essentiel des stipulations.
A la suite d’un audit diligenté par la société F.B.T. en 2006, il est apparu que la société AFTERMATH avait appliqué au calcul des redevances dues au titre du téléchargement des enregistrements d’EMINEM (« Permanent downloads ») et des sonneries téléphoniques (« Mastertones »), la clause « Records Sold provision » – « Enregistrements vendus » -, prévoyant un taux de 12 à 20 % selon des paliers de vente dans les circuits normaux de distribution (« Normal Retail Channels »). Ce que la société AFTERMATH a contesté, estimant que ces exploitations relevaient de la clause « Masters Licensed » (« Enregistrements licenciés »), prévoyant, « nonobstant la clause « enregistrements vendus » (« Notwithstanding the Records Sold provision »), une rémunération de 50 % des recettes nettes dérivant des autorisations concédées aux tiers aux fins de fabrication et de vente des enregistrements ou de tout autre usage.
Quelques larges et généraux que fussent les termes de cette dernière clause – ce dont la Cour fédérale refuse de conclure qu’ils seraient ambigus et susceptibles d’interprétation –, cette clause s’apparente en partie aux clauses dites « utilisations secondaires » en usage en France. La société AFTERMATH faisait d’ailleurs valoir que, par le passé, cette clause avait été appliquée uniquement aux albums de compilations et à l’incorporation au sein de films, d’émissions télévisées et de films publicitaires, arguant également qu’un avenant signé en 2004 avec F.B.T. était venu préciser que « les ventes d’Albums sous forme de téléchargements permanents seront considérées comme des ventes nettes dans les circuits normaux de distribution s’agissant du franchissement des paliers [de redevances] ».
En première instance, la Cour avait donné raison à AFTERMATH et accordé à cette dernière une somme de 2,4 millions de dollars au titre de ses frais d’avocats…La Cour d’appel fédérale renverse toutefois cette décision et valide la position de la société F.B.T. Pour le juge Silvermann, parce que la société AFTERMATH a permis à des tiers (en l’occurrence notamment I-Tunes ainsi que des opérateurs de téléphonie) de fabriquer et de vendre les enregistrements d’EMINEM sous forme de téléchargements et de sonneries téléphoniques, le taux de redevance de 50 % devait s’appliquer.
Cette opinion repose tout d’abord sur le sens courant – non juridique – du terme de licence utilisé par la clause litigieuse, à savoir « permission d’agir » donnée par la société AFTERMATH à I-Tunes et aux opérateurs de téléphonie, selon la Cour. Cette dernière rapproche alors cette signification courante de plusieurs dispositions de la loi américaine sur le Copyright et de la jurisprudence prise pour son application, pour en conclure qu’une licence est une « autorisation donnée par le titulaire exclusif à un autre partie de réaliser un acte qui autrement serait couvert par le monopole exclusif dudit titulaire, sans transfert de propriété des droits concernés ». Or, pour la Cour, il n’est pas contestable que les accords passés avec les exploitants de plateforme de téléchargement et les opérateurs de téléphonie méritent une telle qualification de licence.
Sur ces bases, la Cour écarte l’argument tiré de l’avenant de 2004, en jugeant que celui-ci n’évoque les téléchargements au sein de la clause traitant des enregistrements vendus qu’au titre du franchissement des paliers de redevances mais n’implique pas que ladite clause s’applique également au taux de redevance applicable à ces téléchargements.
Si la question de la qualification des contrats passés avec les plateformes de téléchargement et les opérateurs de téléphonie peut également se poser en droit français, l’on peut toutefois douter qu’un litige similaire puisse se développer en France, pour les contrats récents. En effet, outre les définitions contractuelles permettant la plupart du temps de distinguer clairement les exploitations de supports physiques d’une part et immatérielles d’autre part, les contrats d’artistes et les contrats de licence en usage, séparent clairement les différentes rémunérations versées à l’artiste (ou au producteur en cas de licence) au titre de la vente de supports physiques, de la mise à disposition des enregistrements en vue de leur écoute (« streaming ») ou de leur téléchargement (« download ») ou encore de leur exploitation sous forme de sonneries téléphoniques, les utilisations secondaires étant également traitées à part. Il est toutefois probable que des rédactions ambigües puissent subsister dans les contrats conclus avant le développement de l’exploitation en ligne et n’ayant pas fait l’objet d’avenant adapté.
Stéphane CHERQUI