En présence d’éléments de preuve rendant plus que vraisemblable l’atteinte portée à la marque, le refus de prononcer des mesures d’interdiction à titre conservatoire dans l’attente d’une décision au fond, en application du critère de proportionnalité, ne peut avoir pour conséquence que d’aggraver l’atteinte au droit du titulaire, pourtant retenue par le juge.
L’article L.716-6 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) permet de saisir le juge des référés afin de voir ordonner, si besoin sous astreinte, à l’encontre d’un prétendu contrefacteur (ou des intermédiaires), toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par la marque ou à empêcher la poursuite d’actes argués de contrefaçon.
Cette action en interdiction provisoire n’est conditionnée ni par l’urgence ni par la nécessité pour le titulaire de la marque de démontrer le caractère sérieux de l’action au fond. Afin de faire droit à la demande, et sauf hypothèse de nullité manifeste du titre invoqué au soutien de l’action, le juge des référés doit uniquement vérifier l’existence ou l’imminence d’une atteinte aux droits conférés par le titre.
L’ordonnance rendue par la Cour d’appel de Paris en la matière a dès lors de quoi surprendre.
Bien que la Cour ait jugé que l’atteinte vraisemblable à la marque était caractérisée et ait alloué au titulaire de la marque des dommages et intérêts provisionnels en réparation du préjudice économique que représente l’atteinte à la marque elle-même, les juges ont toutefois refusé de prononcer la mesure d’interdiction sollicitée au motif qu’elle serait disproportionnée en raison de l’absence d’exploitation de la marque par le demandeur.
En l’espèce, la société CIRCUS a assigné différentes sociétés APPLE pour contrefaçon de sa marque verbale française LION déposée en classes 9, 38, 41 et 42 suite au dépôt d’une marque verbale communautaire identique dans des classes identiques.
Divers arguments soulevés en défense par les sociétés APPLE sont tous rejetés par le juge des référés qui constate (i) l’identité des signes et des produits désignés (des logiciels), (ii) l’absence de dépôt manifestement frauduleux de la marque première de CIRCUS et (iii) l’absence de motif légitime à l’acquisition par APPLE en cours d’instance d’une marque antérieure destinée à être opposée au demandeur.
Toutefois, la cour refuse de prononcer la mesure d’interdiction sollicitée par la société CIRCUS au motif que cette mesure serait disproportionnée. La cour relève à cet égard que CIRCUS « n’exploite pas la marque ni même ne justifie de l’avancement précis de son projet de logiciel bénéficiant de cette marque ». La référence à l’absence d’exploitation de la marque par le demandeur est d’autant plus surprenante que la marque n’était pas soumise à déchéance et qu’en outre, la cour relève que l’emploi par APPLE du mot LION pour désigner sa version actuelle du système d’exploitation des ordinateurs prive le titulaire de la marque de la possibilité d’exploiter celle-ci pendant plusieurs années compte tenu de la grande notoriété d’APPLE, impliquant que le consommateur créera nécessairement un lien entre cette société et tout nouveau logiciel mis sur le marché sous la dénomination LION.
Cette décision vide de tout sens la procédure de cessation de faits contrefaisants dont l’objet tend justement à obtenir en justice des mesures afin d’éviter que le préjudice subi par la victime de la contrefaçon ne s’aggrave avant une décision au fond.
En l’espèce, alors que la contrefaçon semble avérée, le titulaire de la marque se voit refuser une mesure provisoire dont la légitimité ne parait pas pouvoir être remise en cause, sur un motif inopérant entrainant de surcroit une aggravation certaine de son préjudice dans l’attente de la décision au fond.
Florence DAUVERGNE