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Avis n°19-1-04 du 21 février 2019 relatif à une demande d’avis de la commission des Affaires culturelles et de l’Education de l’Assemblée nationale dans le secteur de l’audiovisuel

Le 21 février 2019, l’Autorité de la concurrence a publié son avis sur le secteur audiovisuel, pris à la demande de la commission des Affaires culturelles et de l’Education de l’Assemblée nationale. Cet avis intervient sur fond de réforme de l’audiovisuel qui, bien que n’ayant pas donné lieu à un projet de loi pour le moment, commence à se dessiner au gré de récents rapports et recommandations. En effet, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) a présenté en septembre 2018 ses 20 propositions pour une refonte globale de la régulation audiovisuelle. La député Aurore Bergé a également rendu son rapport sur une nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l’ère numérique le 4 octobre 2018.

Par le présent avis, l’Autorité de la concurrence montre à nouveau son intérêt pour le secteur audiovisuel, en particulier en lien avec le numérique, qu’elle a qualifié de « priorité » pour l’année 2019.

L’avis de l’Autorité commence par un état des lieux, chiffres à l’appui, de l’évolution des usages soulignant la différence entre les services dits « traditionnels » et les nouveaux entrants. L’Autorité expose également la variété des modèles en présence et souligne la capacité de ces nouveaux entrants à occuper une plus grande place dans la chaîne de valeur, en assurant à la fois la production et la distribution, avec des contraintes très faibles voire inexistantes par opposition aux opérateurs traditionnels. Les nouveaux entrants n’auraient ainsi pas de contraintes temporelles (en vidéo à la demande, le consommateur est maître du moment de son usage) ou encore technologiques (absence de soumission à une rareté de la ressource, contrairement au réseau hertzien).

Notons que l’Autorité mentionne que ces évolutions sont de nature à avoir des conséquences sur le paysage concurrentiel et son analyse. Elle précise néanmoins que son avis ne vise pas à modifier directement sa pratique décisionnelle mais qu’il s’agit d’éléments qui pourraient, à terme, être « de nature à faire évoluer les définitions des marchés ». Cette évolution du paysage concurrentiel tiendrait aux nouveaux usages et aux nouvelles offres qui seraient interdépendants. Ainsi, à titre d’exemple, l’Autorité voit un possible rapprochement des offres en linéaire payant et celles de vidéo à la demande (certains types de programmes étant désormais offerts selon ces deux modes de diffusion) ou encore une agrégation des différentes offres de contenus (les services se rendant accessibles les uns par les autres).

Dans un deuxième temps, l’Autorité lie les évolutions du secteur avec les règles applicables aux acteurs dits traditionnels qui d’après elle contribuent à creuser l’écart concurrentiel avec les nouveaux acteurs. L’Autorité rappelle, à plusieurs reprises, la spécificité des règles françaises qui, selon elle, étaient justifiées à l’époque par la rareté de la fréquence hertzienne accordée gratuitement aux éditeurs en contrepartie d’un nombre d’obligations mises à leur charge (investissements, production indépendante etc.) L’Autorité souligne également la spécificités française, au sein de l’Union Européenne, tenant à l’élaboration des règles du secteur notamment par concertation avec les organisations professionnelles.

Selon l’Autorité, la complexité de certaines règles françaises rend le « terrain de jeu concurrentiel » non équitable et inefficace. Ainsi, il existerait une forte asymétrie de régulation entre les opérateurs traditionnels et les plateformes numériques internationales. Est cité l’exemple de l’obligation de recours à la production indépendante qui, selon l’Autorité, tend à limiter les droits des distributeurs et les place en situation de « net handicap » face aux nouveaux acteurs qui ont le contrôle total sur leurs droits (tant dans la durée que sur les différents territoires).

L’Autorité dresse un bilan en demi-teinte d’un ensemble d’obligations règlementaires. Elle considère que le succès de ces règles pour le cinéma ne s’est en revanche pas vérifié pour la production audiovisuelle caractérisée par une relation éditeur-producteur de nature à empêcher l’innovation. L’Autorité se penche également sur l’application de la récente Directive Services de Média Audiovisuels (SMA) et les interrogations auxquelles la France devra répondre dans sa transposition. Ces interrogations ont déjà été exprimées par le Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA).

Enfin, face à l’asymétrie concurrentielle qu’elle identifie, l’Autorité de la concurrence propose des axes de réforme.

Sur la publicité télévisée, l’Autorité propose une réduction, voire la fin, des secteurs interdits à la publicité (tel que le cinéma). D’une manière générale, la publicité devrait selon elle être adaptée à l’ère numérique en permettant aux éditeurs de services d’avoir recours à de la publicité ciblée.

Sur les obligations d’investissement, l’Autorité plaide pour une simplification des règles qui aurait pour corolaire une plus grande latitude accordée aux éditeurs dans la gestion des droits des œuvres qu’ils financent. Ainsi, les chaines devraient pouvoir négocier directement avec le producteur les droits de diffusion ainsi que les mandats de commercialisation, comme le font les nouveaux entrants. Également, l’Autorité souhaiterait que le législateur prévoie une mutualisation des obligations au niveau des groupes entre cinéma et audiovisuel pour une « meilleure allocation » des contributions des éditeurs.

Sur les conditions de programmation, l’Autorité incite également à davantage de libéralisme, notamment par la suppression des jours interdits de diffusion d‘œuvres cinématographiques afin que les éditeurs puissent recouvrer la maitrise de leur grille.

Enfin, l’Autorité évoque le dispositif anti-concentration prévu par la loi de 1986 qui limiterait les possibilités de croissance interne et externe des groupes audiovisuels. L’Autorité relève que ce dispositif, en l’état, ne s’applique que partiellement au secteur de l’audiovisuel en ne concernant pas les plateformes numériques qui peuvent néanmoins être hautement concentrées. De plus, l’Autorité rappelle qu’elle dispose, en tout état de cause, de la compétence du contrôle des concentrations qui couvre les entreprises de l’audiovisuel, au-delà de celles visées par la loi de 1986.

En conclusion, l’Autorité plaide pour une prise de conscience par le législateur des asymétries engendrées selon elle par les règles françaises au détriment des services traditionnels et donc au profit des plateformes numériques. L’Autorité estime que cette asymétrie pourrait être rattrapée par une libéralisation des règles, qui passerait notamment par la réduction, voire la fin, de spécificités et complexités caractérisant le système français au sein de l’Union Européenne. Compte tenu de « l’urgence » des enjeux qu’elle identifie, l’Autorité préconise de modifier les règles par voie de décret, sans attendre la réforme de l’audiovisuel qui ne devrait pas commencer à être discutée avant la rentrée 2019.

L’avis de l’Autorité a suscité de nombreuses réactions dans les semaines ayant suivi sa publication.

De nombreuses organisations professionnelles, principalement représentatives des producteurs, ont critiqué un avis qui, selon eux, vient mettre à mal les spécificités des règles françaises permettant à la production française de rayonner dans le monde. L’Union des producteurs de cinéma s’est notamment exprimée par voie de communiqué et dit s’alarmer de l’avis de l’Autorité qui montrerait son « extrême fébrilité face aux nouveaux arrivants, en parfaite contradiction avec les positions défendues par l’Europe et particulièrement la France. » Le Syndicat des producteurs indépendants considère également que l’avis de l’Autorité ne prend pas en compte les fondements qui sous-tendent les spécificités du système français et demande au Ministre de la Culture de « réaffirmer son attachement à la défense du pluralisme et de la diversité culturelle dans notre pays, sans lesquels il n’y a plus de création libre et indépendante. »

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