L’Autorité de la concurrence examine pour la première fois, sur le fondement du droit des ententes, des opérations de concentrations n’atteignant pas les seuils nationaux de notification

L’Autorité de la concurrence (l’ « Autorité ») s’est intéressée, dans sa décision du 2 mai 2024, à des accords de cession de fonds de commerce sous l’angle du droit des ententes.

Ces pratiques ont été mises en œuvre dans le secteur de l’équarrissage qui consiste à collecter, manipuler, entreposer et traiter ou éliminer les carcasses et matières animales.

Ce secteur est confronté à des difficultés depuis de nombreuses années, du fait notamment de la baisse des cheptels bovins et porcins. Ce secteur a connu ces dernières années une accélération d’un phénomène concentratif entrainant une diminution du nombre d’acteurs et d’usines de traitement et de transformation.

Dans ce contexte, l’Autorité a mené une instruction sur l’existence d’un plan global, dont l’objet serait la répartition géographique du marché français mise en œuvre par la conclusion de 21 accords de cession de fonds de commerce réciproque.

L’Autorité relève à cet égard que :

  • les échanges dont elle dispose constituent des discussions préparatoires à une opération de concentration et ne permettent pas d’établir avec suffisance l’existence d’un projet de répartition tripartite de volumes de collecte et d’exploitation de coproduits en dehors d’un cadre concentratif ;
  • aucun élément de preuve en sa possession ne permettrait de démontrer que les mises en cause ont cessé de se concurrencer, mais qu’au contraire, au moins deux d’entre elles ont continué à exercer une pression concurrentielle réciproque ;
  • l’indivisibilité des accords de cession bilatéraux ne démontre pas l’existence d’un plan dépassant la seule réalisation d’opérations de concentration, alors même que ces accords ne prévoient leur indivisibilité que pour ceux conclus de manière bilatérale et n’ont aucune composante tripartite.

Dès lors, l’Autorité considère que l’existence d’un accord de volonté en vue de la réalisation d’une répartition géographique entre concurrents, résultant de cessions de fonds de commerce, n’est pas démontrée.

Pour rappel, par un arrêt Towercast[1], la Cour de justice a considéré que le règlement concentrations ne s’oppose pas à ce qu’une opération de concentration, dépourvue de dimension communautaire, se situant sous les seuils de notification prévus par le droit national et n’ayant pas fait l’objet d’un renvoi sur le fondement de l’article 22 de ce règlement, soit analysée par une autorité de concurrence d’un Etat membre au regard des dispositions de l’article 102 TFUE qui prohibe les abus de position dominante.

Les mises en cause ont soutenu dans l’affaire rapportée ici que cette jurisprudence portant sur l’applicabilité de l’article 102 TFUE n’est pas transposable à l’article 101 TFUE, relatif à l’interdiction des ententes anticoncurrentielles.

L’Autorité réfute cette position en indiquant que le règlement concentrations « fait partie d’un ensemble législatif visant à mettre en œuvre les articles 101 et 102 TFUE ainsi qu’à établir un système de contrôle garantissant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur de l’Union ».

En outre, les articles 101 et 102 TFUE sont d’effet direct et restent applicables à des opérations de concentrations.

En conséquence, l’Autorité considère qu’une opération de concentration située sous les seuils de notification est susceptible de faire l’objet d’un examen a posteriori (après sa réalisation) sur le fondement du droit des ententes anticoncurrentielles.

Quand bien même un non-lieu est in fine prononcé par l’Autorité, cette décision est particulièrement intéressante en ce que l’Autorité accepte, pour la première fois, d’étendre au droit des ententes la jurisprudence Towercast de la Cour de justice rendue sur le fondement de l’abus de position dominante, permettant d’analyser ex post les opérations de concentration non notifiée.

L’Autorité signe ainsi un nouvel élargissement des moyens de contrôle dont elle dispose.

Corrélativement, il convient pour les acteurs économiques d’accroître leur vigilance non seulement dans l’analyse de la contrôlabilité des opérations de M&A qu’elles conduisent, mais également au regard des effets réels ou potentiels de ces opérations sur le marché en cause même lorsque celles-ci n’ont pas à être notifiées à l’Autorité de la concurrence.


[1] CJUE, 16 mars 2023, n° C-449/21, Towercast