L’ Autorité de la concurrence française sanctionne des fabricants et des distributeurs de matériel électrique pour ententes verticales sur les prix découlant d’un « mécanisme de dérogations »

A la suite d’un signalement transmis par le rapporteur de l’Autorité de la concurrence au Procureur de la République Paris sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, ce dernier a ouvert en 2018 une information judiciaire permettant des perquisitions pénales au sein de plusieurs sociétés du groupe Schneider Electric, Legrand, Rexel, Sonepar et la Fédération des Distributeurs en Matériel Electrique.

Ce sont ces perquisitions qui ont permis de révéler les pratiques d’ententes anticoncurrentielles condamnées aux termes d’une décision rendue le 29 octobre 2024 par l’Autorité de la concurrence.

Dans cette décision, l’Autorité a sanctionné les fabricants Schneider Electric et Legrand et leurs distributeurs Rexel et Sonepar pour avoir participé à des pratiques verticales de fixation du prix de revente dans le cadre du « mécanisme de dérogations » prévu dans les contrats annuels conclus pour la distribution des produits de Schneider Electric et Legrand.

La première entente concerne la société Schneider Electric et les distributeurs Rexel et Sonepar et s’est étendue sur une période de six ans. La seconde entente, mise en œuvre par la société Legrand et son distributeur Rexel, s’est déroulée quant à elle sur une période trois ans. 

S’agissant du mécanisme des « dérogations » support de l’entente sur le prix, ce mécanisme était prévu dans le cadre des contrats-cadres annuels entre fournisseurs et distributeurs. Une « dérogation » consiste en une remise sur le prix d’achat standard accordée par le fabricant à son distributeur afin que ce dernier puisse répondre à la demande des clients professionnels qui sollicitent parfois des prix inférieurs aux prix d’achat standard.

Ce mécanisme de prix dérogés permettait ainsi aux distributeurs de s’aligner sur les prix souhaités par les clients finals, sans revendre à perte, étant précisé que le prix d’achat dérogé était suffisamment bas pour permettre au distributeur de consentir lui-même des réductions de prix supplémentaires au client final.

Comme le souligne l’ADLC aux termes de sa décision, si ce mécanisme des dérogations n’était pas illicite dans son principe puisqu’aucune disposition contractuelle n’empêchait les distributeurs de pratiquer des prix inférieurs aux tarifs dérogés, la mise en œuvre concrète du mécanisme s’est traduite par une entente verticale sur les prix, l’enquête ayant notamment permis de démontrer que les fournisseurs et les distributeurs impliqués s’étaient entendus pour conférer aux tarifs dérogés un caractère fixe

Dès lors, ce mécanisme permettait en pratique aux fabricants de fixer les prix de revente que devaient pratiquer leurs distributeurs ainsi que de déterminer leur marge, pratiques toutes les deux strictement interdites par les articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce.

En ce qui concerne la qualification des pratiques, l’ADLC a relevé que la fixation par le fournisseur des prix de vente accordés par le distributeur au client final a constamment été qualifiée de restriction de concurrence par objet. Ainsi, elle en conclut que l’absence de précédents français ou européens sanctionnant des accords de dérogations parfaitement identiques n’exclut pas la qualification de restriction de concurrence par objet, dès lors que ce n’est pas le système de dérogations en lui-même qui est condamnable, mais uniquement les modalités concrètes de sa mise en œuvre par les parties mises en cause.

S’agissant des sanctions, l’Autorité a infligé des sanctions d’un montant total de 470 000 000 euros se répartissant comme suit :

  • Au titre de la première entente : Schneider Electric est sanctionné à hauteur de 207 millions d’euros, Rexel à hauteur de 89 millions d’euros et Sonepar 96 millions d’euros ;
  • Au titre de la seconde entente : Legrand est sanctionné à hauteur de 43 millions d’euros et Rexel 35 millions d’euros.

Pour fixer le montant de ces sanctions, l’Autorité de la concurrence a notamment pris en compte le fait que les pratiques d’entente verticale sur les prix sont considérées de manière constante par les autorités de concurrence comme parmi les pratiques anticoncurrentielles les plus grave. Elle a également tenu compte du fait que les entreprises mises en cause avaient conscience du caractère anticoncurrentiel de leurs agissements et de leur puissance financière significative pour ajuster le montant des sanctions.