L’autorité de la concurrence sanctionne des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fabrication et la vente de denrées alimentaires en contact des matériaux contenants du Bisphénol A
Par une décision n° 23-D-15 du 29 décembre 2023[1], l’Autorité de la concurrence (l’ « Autorité ») sanctionne une entente entre trois organismes professionnels de conserveurs, un syndicat de fabricants de boîtes et onze entreprises en leur qualité de membres de ces organismes professionnels.
L’objectif de l’entente était d’éliminer toute concurrence entre entreprises au sein de la chaîne de valeur sur le critère de la présence ou de l’absence dans les produits vendus de Bisphénol A (« BPA »), substance chimique utilisée pour la protection intérieure des boîtes métalliques de denrées alimentaires.
Cette entente s’inscrit dans le contexte réglementaire particulier de la suspension par la loi n° 2012-1442 du 24 décembre 2012[2] de l’utilisation du BPA dans tous les conditionnements, contenants et ustensiles destinés à entrer en contact avec les denrées alimentaires à compter du 1er janvier 2015 et dont l’application a entrainé une période de transition pendant laquelle des produits avec et sans BPA étaient mis sur le marché simultanément afin de permettre aux industriels d’écouler leurs stocks.
Sur les deux griefs notifiés par l’Autorité, seul le premier grief réduit à la limitation de la communication sur l’absence de BPA et la limitation de la commercialisation des produits sans BPA a finalement été retenu.
Ce grief comporte deux branches :
- la première concerne la stratégie visant à empêcher les industriels de communiquer sur l’absence de BPA dans leurs contenants alimentaires alors que cette substance était considérée comme potentiellement dangereuse pour la santé ;
- la seconde concerne l’incitation des industriels à refuser de livrer des contenants sans BPA avant la date du 1er janvier 2015. Seuls la Fédération des Industries d’Aliments Conservés (« FIAC ») et le Syndicat National des Fabricants de Boîtes (« SNFBM ») sont impliqués dans cette seconde pratique qui constitue, avec la première, une infraction unique complexe et continue.
- L’objectif principal de cette stratégie commune était d’éviter qu’une entreprise ne prenne un avantage concurrentiel sur les autres en communiquant sur l’absence de BPA dans les produits vendus.
Cet objectif a été rappelé à l’occasion de réunions au sein d’organismes professionnels ainsi que d’échanges bilatéraux. L’instruction a également fait ressortir l’instauration d’une procédure de gestion des cas de communication sur l’absence de BPA et plusieurs prises de contact avec les acteurs ayant mis en place une telle communication aux fins de les en décourager.
Ces pratiques ont eu cours entre octobre 2010 et juillet 2015, soit pendant plus de 4 ans.
Ces pratiques revêtent en outre une gravité particulière dans la mesure où les consommateurs ont été privés de la faculté de choisir des produits ne contenant pas de BPA, alors même que :
- de tels produits étaient déjà disponibles ;
- cette substance était considérée comme potentiellement dangereuse pour la santé.
L’Autorité de la concurrence considère ces pratiques comme anticoncurrentielles par leur objet eu égard à leur nature, leur finalité et leur contexte puisqu’elles portent sur des paramètres essentiels de concurrence que sont l’information sur la composition et la qualité des produits.
En conséquence, l’Autorité retient la responsabilité de quatre organismes professionnels (la FIAC, le SNFB, l’Association des Entreprises de Produits Alimentaires Elaborés (« ADEPALE ») et l’Association Nationale des Industries Alimentaires (« ANIA »), ainsi que de onze entreprises membres de ces organismes professionnels.
Une sanction globale de 19 553 400 euros est prononcée à l’encontre des organismes professionnels et entreprises au titre de ces pratiques. L’Autorité s’est écartée du communiqué sanction[3], comme elle en a la possibilité, afin de tenir compte de l’hétérogénéité tenant au poids économique, à la nature et au rôle au sein du secteur entre les organismes collectifs et les entreprises poursuivies en retenant un mode de fixation forfaitaire pour la détermination des sanctions pécuniaires.
La FIAC, l’ADEPALE, le SNFBM, l’ANIA et Bonduelle sont considérés, au titre des circonstances aggravantes, comme ayant joué un rôle particulier dans la conception et la mise en œuvre de l’infraction, la FIAC étant à l’initiative de la stratégie collective visant à ne pas communiquer sur l’absence de BPA.
Il est également tenu compte, comme circonstance atténuante, du cadre légal et réglementaire particulier dans lequel les pratiques s’inscrivent ainsi que du comportement de l’Administration qui a entrainé une période de commercialisation simultanée des produits avec et sans BPA, obligeant les entreprises à mettre au point des solutions de remplacement dans un bref délai et engager des frais de recherche alors qu’un risque de déstabilisation de la filière n’était pas négligeable en cas de communication sur les produits sans BPA.
Cette décision de l’Autorité, par sa sévérité, a le mérite de souligner :
- l’existence d’un risque structurel que les organismes professionnels soient des catalyseurs ou facilitateurs de pratiques interdites (cf. l’étude de l’Autorité sur les organismes professionnels de janvier 2021[4]). A cet égard, le plafond de sanction applicable aux associations d’entreprises a été relevé par l’ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021[5] transposant la directive (UE) n° 2019/1 (« ECN+ »)[6], passant ainsi de 3 millions d’euros à 10% du chiffre d’affaires mondial hors taxes ou 10% de la somme du chiffre d’affaires mondial hors taxes réalisé par chaque membre actif sur le marché affecté par l’infraction de l’organisme lorsque l’infraction a trait à l’activité de ses membres ;
- la nécessaire vigilance dont les entreprises doivent faire preuve s’agissant de leur participation aux réunions organisées par des organisations professionnels dont l’objet peut s’avérer anticoncurrentiel.
[1] Adlc, décision n° 23-D-15 du 29 décembre 2023 relative à des pratiques dans le secteur de la fabrication et la vente de denrées alimentaires en contact avec des matériaux pouvant ou ayant pu contenir du bisphénol A
[2] Loi n° 2012-1442 du 24 décembre 2012 visant à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A
[3] Communiqué de l’Autorité de la concurrence relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, 30 juillet 2021
[4] Adlc, étude thématique – les organismes professionnels, janvier 2021
[5] Ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021 relative à la transposition de la directive (UE) 2019/1 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur
[6] Directive (UE) 2019/1 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur