L’Autorité de la concurrence (ci-après, l’« Adlc ») a publié le 27 décembre dernier le texte finalisé de son communiqué sur les conditions de mise en œuvre de la procédure de transaction, après deux ans de pratique décisionnelle et une douzaine de décisions en la matière.
Issue de la loi dite « Loi Macron » du 6 août 2015, la procédure de transaction permet aux auteurs de pratiques anticoncurrentielles mises en cause par l’Adlc d’obtenir une réduction d’amende dès lors qu’elles ne contestent pas les griefs qui leur sont adressés.
Pour parvenir à une transaction, l’absence de contestation de la part de l’entreprise concernée doit porter sur la réalité de l’ensemble des pratiques en cause (autrement dit, leur matérialité, leur durée et leur champ géographique), leur qualification juridique telle qu’elle résulte de la notification des griefs et leur imputabilité. La régularité de la notification des griefs ne pourra non plus être remise en cause par l’entreprise ni directement, ni indirectement, tant sur le fond que sur la forme.
En contrepartie, l’entreprise obtient une récompense qui, à la différence de l’ancienne procédure de non-contestation des griefs, n’est pas exprimée en pourcentage de réduction d’amende sans aucune information sur le niveau de celle-ci, mais sous forme de fourchette fixant le montant minimal et le montant maximal de la sanction pécuniaire envisagée. Cette fourchette est proposée par le Rapporteur général de l’Adlc en s’appuyant nécessairement sur le communiqué Sanction de 2011 pour calculer ce qu’aurait été le montant de la sanction en l’absence d’une transaction. Si un accord sur la fourchette en question aboutit entre le Rapporteur général et l’entreprise concernée dans les deux mois qui suivent la réception de la notification de griefs, un procès-verbal de transaction est alors signé entre les parties. L’entreprise concernée peut néanmoins discuter du montant de l’amende au sein de la fourchette en question en présentant des observations écrites au collège de l’Adlc. Celui-ci peut alors soit prononcer une sanction dans la limite de la fourchette consignée dans le procès-verbal de transaction, sans faire donc application de la méthode de détermination des sanctions décrites dans le communiqué Sanction précité, soit estimer que les conditions pour le prononcé d’une sanction dans la fourchette indiquée ne sont pas réunies ou que le ou les griefs ne sont pas fondés, auquel cas il pourrait décider d’un renvoi à l’instruction selon la procédure de droit commun. Ce renvoi à l’instruction rend alors caduc le procès-verbal de transaction précédemment signé.
Le champ d’application de la procédure transaction est assez large dans la mesure où tout type de pratiques anticoncurrentielles y est éligible. Toutefois, comme l’indique le communiqué de procédure, l’Adlc entend privilégier la mise en œuvre de la procédure de transaction dans les affaires dans lesquelles l’ensemble des parties renoncent à contester les griefs et sollicitent le recours à une telle procédure. La mise en œuvre de cet objectif affiché dès le début par l’Adlc est compliquée en pratique puisque les discussions avec le Rapporteur général demeurent strictement bilatérales et confidentielles, les autres destinataires de la notification des griefs étant simplement informés de l’existence de discussions en cours relatives à la transaction. La validation d’une fourchette de sanction avec le Rapporteur général, après de longs échanges et de nombreux efforts, ne suffit pas pour sécuriser l’entreprise concernée quant au bénéfice de la transaction. Il faut encore attendre que les autres parties parviennent elles aussi à un accord avec le Rapporteur général sur le principe de la transaction et la fourchette accordée individuellement, ce qui n’est pas évident dans les affaires où les entreprises adoptent des stratégies de défense divergentes en optant pour certaines pour une procédure de clémence par exemple. L’entreprise se trouve contrainte de préparer en parallèle des observations en défense qu’elle devra soumettre à l’Adlc au cas où un procès-verbal de transaction n’aurait pas pu être établi avec l’un des participants à l’infraction ou même avec l’entreprise en question. Pour cela, l’Adlc recommande de solliciter la procédure dès avant la notification des griefs, les entreprises étant prévenues souvent en pratique par le rapporteur de l’envoi imminent d’une notification de griefs à leur encontre. Cette possibilité de discussions préalables avec le Rapporteur général sur la transaction a même été sollicitée par de nombreux praticiens lors de la consultation publique dont le projet de communiqué a fait l’objet. Néanmoins, la notification de griefs étant le socle de toute négociation en vue d’une possible transaction, il est difficile pour une entreprise de décider de ne pas contester les griefs et d’accepter une fourchette de sanction avant même de prendre pleinement connaissance de ceux-ci et d’avoir un consentement éclairé. Il s’agit là d’un principe général en la matière. La prise de contact préalable avec le Rapporteur général pourrait en revanche être très utile pour discuter éventuellement avec ce dernier des contours des griefs qui seront adressés.
Une fois une décision de condamnation rendue par l’Adlc dans le cadre d’une procédure de transaction, se pose la question de ses conséquences sur les actions indemnitaires qui pourraient alors suivre devant les juridictions. Si certains aspects de la procédure de transaction sont susceptibles de freiner les actions indemnitaires, d’autres poussent à croire qu’une telle procédure pourraient au contraire les faciliter. En effet, l’accès au dossier par les tiers est très restreint : aucun document ou pièce transmis par les parties et se rapportant à la mise en œuvre de la procédure de la transaction n’est versé au dossier d’instruction et le procès-verbal de transaction signé par une entreprise ne leur est pas communicable. Par ailleurs, les décisions de transaction de l’Adlc sont moins motivées notamment dans leurs parties relatives aux effets des pratiques, à leur gravité et au dommage à l’économie, alors que ces décisions constituent une source d’information importante pour les victimes afin de caractériser le lien de causalité entre la faute et le préjudice prétendu. En revanche, les entreprises ayant transigé avec l’Adlc et ainsi permis d’accélérer la procédure devant celle-ci pourraient être exposées à un plus grand risque d’actions en dommages et intérêts dans la mesure où non seulement la décision de transaction rendue par l’Adlc contient un constat d’infraction, mais aussi ne peut plus faire l’objet d’une voie de recours ordinaire pour la partie relative à ce constat. Il pourrait donc être soutenu par les victimes qu’une telle décision établit une présomption irréfragable de faute anticoncurrentielle au sens de l’ordonnance relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles. Il faudrait s’attendre à ce que cette question soit vivement débattue devant les juridictions.