Le Conseil Constitutionnel valide la loi sur le « livre indisponible »
La loi du du 1er mars 2012 a inséré dans le Code de la Propriété Intellectuelle de nouveaux articles relatifs à l’exploitation numérique des livres indisponibles. Ces derniers sont définis comme « les livres publiés avant le 1er janvier 2001 qui ne font plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur et qui ne font pas actuellement l’objet d’une publication sous une forme imprimée ou numérique?».
Une précision utile : il s’agit de ne pas confondre le livre indisponible avec l’œuvre orpheline, dont l’auteur n’est pas connu (mais qui seront généralement des œuvres indisponibles), ou avec l’œuvre tombée dans le domaine public, pour laquelle les droits patrimoniaux ont expiré. En effet, l’auteur d’un livre indisponible est connu et dispose, comme son éditeur, de droits patrimoniaux sur l’œuvre : la qualification n’est déclenchée que par l’absence d’exploitation commerciale.
En outre, la précision temporelle de l’article fait sens lorsqu’on considère que la plupart des contrats de cession de droit d’auteur conclus antérieurement à cette date ne prévoient justement pas l’exploitation numérique des œuvres.
La première étape consiste en l’inscription des livres indisponibles au sein d’une base de données publique gérée par la Bibliothèque Nationale. Si dans les 6 mois, aucun ayant-droit ne s’y est opposé, les droits de reproduction et de représentation de l’œuvre sont exercés par une société de perception et de répartition des droits (ci-après « SPRD »).
Les requérants fondaient ainsi leur demande sur une supposée atteinte au droit de propriété des auteurs et éditeurs puisque leurs droits sur les œuvres sont susceptibles d’être transférés sans leur consentement à une SPRD.
En premier lieu, conformément au contrôle mené par les juges constitutionnels au regard des atteintes au droit de propriété, ces derniers relèvent que la mise à disposition du public d’ouvrages indisponibles assurant la rémunération des ayants droit poursuit un but d’intérêt général.
Ensuite, les juges examinent les mécanismes légaux prévus afin de déterminer si l’atteinte au droit de propriété est proportionnée au regard de l’objectif poursuivi.
Au terme d’une analyse rapide, le Conseil retient que l’encadrement de la procédure est suffisamment précis et souple pour éviter tout risque d’atteinte disproportionnée aux droits tant patrimoniaux que moraux des auteurs et éditeurs.
En effet, les juges relèvent en premier lieu la possibilité pour les éditeurs de notifier leur opposition à l’exploitation des droits. Les droits d’exploitation leur restent alors acquis en totalité, à charge d’exploiter l’œuvre dans les deux ans.
A défaut d’opposition, la SPRD propose à l’éditeur de l’œuvre « papier » une autorisation d’exploitation de l’œuvre sous forme numérique. En contrepartie de ce droit de préférence, l’éditeur doit s’engager à exploiter ce livre dans un délai de trois?ans et pour une durée de dix ans, tacitement renouvelable (à titre exclusif). Si l’éditeur laisse passer ce droit de priorité ou ne souhaite pas l’exercer, la SPRD est habilitée à accorder des licences non exclusives à des tiers, pour une durée de 5?ans renouvelable.
En outre, l’article L. 134-6 du CPI prévoit un droit de retrait au bénéfice soit de l’auteur et de l’éditeur agissant conjointement, soit du seul auteur à la condition qu’il apporte la preuve qu’il est le seul titulaire des droits d’exploitation numérique
Enfin, les juges constitutionnels rappellent les dispositions de l’article 134-3 du CPI aux termes duquel la SPRD est tenue de garantir le « caractère équitable des règles de répartition des sommes perçues entre les ayants droit, qu’ils soient ou non parties au contrat d’édition ». Ainsi, la rémunération des ayants droit est elle assurée par le dispositif légalement prévu.
Enfin, les juges constitutionnels retiennent que le droit moral de l’auteur n’est pas davantage affecté par ces nouvelles règles puisque le nouvel article L. 134-4 du CPI dispose précisément que : « l’auteur peut s’opposer à cette exploitation s’il juge que la reproduction ou la représentation de ce livre est susceptible de nuire à son honneur ou à sa réputation »
Les critiques n’ont pas tant été dirigées vers la décision du Conseil Constitutionnel que contre le dispositif lui-même.
En effet, certains lui reprochent de conforter la société GOOGLE dans sa politique de numérisation des œuvres sans autorisation préalable des ayants droit. D’autres, à l’inverse, estiment ces mesures bienvenues en ce qu’elles permettent de concurrencer les bibliothèques numériques jugées moins respectueuses des droits d’auteur.
Mais les critiques les plus virulentes visaient « l’incongruité » de cette loi au regard des règles du Code de la propriété intellectuelle encadrant l’édition et dénonçaient un cadeau fait aux éditeurs. En effet, le Code de la propriété intellectuelle et la jurisprudence sanctionnent le non respect de l’obligation d’exploitation permanente, qui est une obligation de résultat, par la résiliation du contrat. Or, les nouvelles règles permettent à l’éditeur d’éviter une telle sanction et surtout, prévoient sa rémunération en tout état de cause, au titre d’une œuvre dont il a lui-même cessé la diffusion commerciale.
L’on relèvera que la validation par le Conseil Constitutionnel du mécanisme pragmatique permettant de pallier l’absence de clause relative à l’édition numérique dans les contrats conclus avant le développement de ce mode d’exploitation permettra de redonner au public l’accès à l’ensemble du répertoire de l’édition française.
Clément LECOMTE
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