Le CSA dresse un premier bilan en demi-teinte sur le placement de produits
Deux ans après l’entrée en vigueur de la réglementation applicable au placement de produits payant dans les programmes de télévision, le CSA a organisé une série d’auditions auprès des différents professionnels du secteur – producteurs, annonceurs, sociétés d’auteurs et association de consommateurs – pour dresser le bilan de son application et en aménager les règles pour accompagner le développement de ce nouveau mode de communication.
Rappelons que la délibération du 16 février 2010 définit le placement de produits comme « toute forme de communication commerciale audiovisuelle consistant à inclure un produit, un service ou une marque ou à y faire référence, en l’insérant dans un programme, moyennant paiement ou autre contrepartie ».
[Voir Netcom Mars 2010].
Quoique fort attendu par les acteurs de l’audiovisuel, le placement de produits s’est lentement développé en France compte tenu notamment des délais de production des émissions susceptibles d’intégrer – sous un angle scénarisé – les marques et produits des annonceurs. Malgré des débuts hésitants et la part marginale des budgets de communication des marques commerciales consacrée à cette pratique (environ 1%), les annonceurs sont néanmoins globalement satisfaits des opérations de placement de produits qui – selon l’étude menée par l’UDA – leur donnent la possibilité de mettre en situation leurs produits et de bénéficier de l’image du programme et/ou des acteurs. Ainsi, la série « Plus Belle la Vie » et les vidéo-musiques ont été pionnières dans l’utilisation de cette nouvelle forme de promotion.
Mais la frontière reste mince entre placement de produits et publicité clandestine. Le CSA a ainsi eu l’occasion de rappeler à l’ordre les chaînes de télévision diffusant des programmes mettant en avant de façon injustifiée des produits ou des marques. En juillet 2010, le CSA a mis fermement en garde Direct 8 à la suite de la diffusion de la série « Ma Super Croisière » coproduite avec une société organisant des croisières dans la mesure où le montage et le scénario de la série faisaient la promotion appuyée de ses circuits et prestations. A contrario, saisi par France Télévisions en 2011 sur la pratique d’insertion dans les décors de fictions d’affiches publicitaires, le CSA avait estimé que si l’affichage consiste en la visualisation d’un produit, d’un service ou de sa marque (et non de ses éléments commerciaux tels le slogan, le prix, les coordonnées d’un lieu de vente), cette insertion pouvait alors être considérée comme un placement conforme à la réglementation.
Pour encourager le développement de cette pratique, les différents professionnels ont fait part lors des auditions de leur souhait de voir clarifier et aménager les règles existantes. En particulier, les annonceurs se sont déclarés favorables à l’ouverture du placement de produits aux émissions de flux, tel que cela est permis par la directive Service de Médias Audiovisuels, afin de leur permettre de toucher des cibles plus larges via des programmes véhiculant des thématiques plus proches de leurs produits.
Cependant, le CSA n’a pas fait suite à cette demande en raison de la difficulté à déterminer, sur la base de critères objectifs, les genres d’émissions de flux (jeux, magasines, sport) ou les catégories de produits concernés. Par ailleurs, le CSA souligne qu’un « certain nombre de spécificités de la fiction, telles que les contraintes de scénario et l’implication des auteurs dans la réalisation, ont joué le rôle de « freins naturels » dans le développement du placement de produit. Ce dernier a été utilisé, dans la plupart des cas, de manière modérée et respectueuse du téléspectateur. Or, ces garanties n’existent pas dans les programmes de flux. » Le CSA craint en effet que « le placement de produit dans ces programmes apparaisse de manière nettement moins subtile, et que la présence de l’annonceur soit plus forte, au risque de voir certains programmes conçus spécifiquement dans une optique publicitaire ».
D’autres revendications des auditionnés n’ont également pas été adoptées par le CSA :
(i) Ainsi, la demande de suppression de la règle interdisant d’utiliser dans une émission le placement de produits ou services du parrain de cette émission n’a pas été suivie d’effet, au motif que cette suppression entrerait en contradiction avec les dispositions réglementaires encadrant le parrainage.
(ii) De même, les précisions sollicitées sur la notion de « mise en avant injustifiée » pour cerner les limites encadrant l’intégration de produits dans le programmes n’ont pas été apportées, l’objectif étant pour le CSA de ne pas réduire sa marge d’appréciation à l’égard de la pratique du placement encore peu répandue.
(iii) Enfin, l’obligation relative à l’apposition du pictogramme « P » informant le téléspectateur de l’existence d’un placement de produits n’a pas été aménagée. Pourtant les diffuseurs ont faire part de leur difficulté à mettre en œuvre cette règle compte tenu (i) de l’absence d’information certifiée sur l’existence de placement de produits dans des programmes produits à l’étranger et (ii) de la baisse de la qualité de l’antenne en raison de la présence permanente du pictogramme. Ces difficultés les conduisent parfois à flouter les produits ou services placés plutôt que d’apposer la signalétique prévue à cet effet. Le CSA a au contraire demandé aux diffuseurs de renforcer l’information du public et de mener une nouvelle campagne d’information pour rappeler aux téléspectateurs la signification de ce pictogramme.
Le CSA a en revanche favorablement accueilli la demande de modification de la disposition relative à l’exigence d’un contrat tripartie entre l’annonceur, le producteur du programme et le diffuseur pour les opérations de placement de produits. Cette règle contractuelle visait initialement à garantir un équilibre économique entre ces différents acteurs. Mais pour les producteurs et annonceurs, l’intervention des régies publicitaires des chaînes de télévision dans les contrats aurait constitué un frein au développement tout en ne permettant pas d’apporter un véritable complément au financement des programmes. Elle était particulièrement inadaptée pour la production de films où la diffusion n’intervient que plusieurs années après le tournage. Cette réclamation a été entendue et la délibération a été modifiée pour remplacer la mention de « contrat tripartite » par celle « d’un contrat bipartite accompagnée d’une obligation d’information du diffuseur ». La revendication des producteurs de cinéma d’être dispensés de respecter des règles conçues pour les programmes de télévision n’a en revanche pas été entendue.
A l’issue de ces nombreuses auditions, peu d’aménagements ont finalement été apportés au dispositif juridique encadrant le placement de produit. Ni son périmètre ni les conditions de forme n’ont été modifiées, le CSA considérant que le placement de produits avait été utilisé dans la plupart des cas de manière équilibrée et dans le respect de la réglementation applicable.
Néanmoins, pour renforcer un marché encore balbutiant, les annonceurs et les producteurs d’émission de télévision poursuivent leur lobbying pour ouvrir le placement de produits à un ou plusieurs types de programmes de flux. En effet, pour 65% des annonceurs, cet élargissement serait une motivation pour reconsidérer l’opportunité de leurs investissements.
A ce stade, le CSA s’est uniquement engagé à ouvrir une réflexion sur l’opportunité de rendre ces programmes éligibles au placement de produits. Il est d’ores et déjà prévu qu’un second bilan sera établi en 2014.
Sabine DELOGES