Le « titre de presse » dans le projet de loi Création et Internet et le statut de « l’éditeur de service de presse en ligne »
Chapitre VI – Article 20 (ancien article 10bis A) et article 27 (ancien article 12) du projet de loi – Les entreprises de presse sont particulièrement concernées par deux séries de dispositions du projet de loi dont les implications et la portée sont différentes. La première série de ces dispositions (article 20) emporte modification du régime de cession des droits d’auteur des journalistes employés de façon permanente ou occasionnelle par les entreprises de presse (cf. dans ce numéro l’article sur la réforme du droit d’auteur des journalistes) et utilise à cette occasion la notion de « titre de presse » pour définir le champ de la cession des droits d’auteur du journaliste (i).
La seconde série (article 27) accorde un statut à ce qu’il convient désormais d’appeler l’éditeur « de service de presse en ligne » et qui constitue ainsi une catégorie juridique nouvelle au sein de l’ensemble plus large, mais non défini par les textes, des éditeurs de contenus sur internet (ii).
(i) S’agissant du « titre de presse », l’article 20 le définit et l’entend comme l’organe de presse pour lequel le journaliste a élaboré sa contribution, en y incluant toutes « les déclinaisons » de ce titre « quels qu’en soient le support, les modes de diffusion et de consultation », et cette même disposition pose le principe selon lequel la convention entre le journaliste professionnel collaborant au titre de presse et l’entreprise qui l’édite emporte, au profit de cette entreprise, sauf stipulation contraire, cession à titre exclusif des droits d’auteur du journaliste sur les articles réalisés dans le cadre de ce « titre de presse », et ce en contrepartie du seul salaire du journaliste, pendant une durée dont la détermination se fera par voie d’accords collectifs.
Il résulte donc de cette innovation de la loi, souhaitée par les professionnels de ce secteur, une extension du champ « légal » de la cession qui se trouve défini par référence au titre de presse lui-même sans considération, comme c’était le cas jusqu’à présent, du support ou mode de diffusion utilisé pour la première publication de l’article du journaliste au sein du titre de presse.
L’objectif du législateur étant essentiellement de soutenir par ce moyen la diffusion de la presse traditionnelle sur internet, l’article 20 spécifie que se trouve assimilée à la publication dans le titre de presse, la diffusion « en totalité ou en partie » de son contenu sur des sites édités par des tiers à condition toutefois que le directeur de la publication du titre de presse exerce son contrôle éditorial sur cette diffusion ou que la diffusion se fasse sur le site du tiers « dans un espace dédié au titre dont le contenu est extrait ».
Si le site est édité par l’entreprise de presse elle-même, par « le groupe » auquel elle appartient ou sous sa responsabilité, les conditions sont encore allégées puisque, dans ce cas, il est suffisant, mais impératif, que le titre de presse dont le contenu est issu soit mentionné sur le site.
(ii) L’autre volet « presse » du projet de loi, relatif au statut de l’éditeur de presse en ligne, est tout aussi important. Introduit sous la forme d’un amendement du député Jean Dionis du Séjour, son contenu reprend pour l’essentiel les recommandations du groupe de travail des Etats Généraux de la Presse de janvier 2009.
La création du statut d’éditeur de presse en ligne a pour objectif d’une part, de permettre aux sites de presse de bénéficier des avantages fiscaux accordés à la presse papier et, d’autre part, d’instaurer un régime de responsabilité éditoriale adapté aux réalités du Web 2.0.
Ainsi, l’amendement introduit à l’article 27 du projet définit le bénéficiaire du statut d’éditeur de presse en ligne comme « une personne physique ou morale qui a la maîtrise éditoriale de son contenu, consistant dans la production et la mise à disposition du public d’un contenu original, d’intérêt général, renouvelé régulièrement, composé d’informations présentant un lien avec l’actualité et ayant fait l’objet d’un traitement à caractère journalistique, qui ne constitue pas un outil de promotion ou accessoire d’une activité industrielle ou Il n’est pas douteux que les nombre commerciale ». L’article ajoute qu’en matière d’information « politique et générale », l’emploi « à titre régulier », d’au moins un journaliste professionnel est requis. Il est probable que ces critères, nombreux, issus des recommandations des professionnels de la presse qui permettent d’exclure de façon claire les blogs et sites non professionnels donneront néanmoins lieu à des divergences d’interprétation, en particulier en ce qui concerne le sens des conditions relatives à la « production » du contenu et au « traitement journalistique ».
L’enjeu financier de la qualification est important puisque si les critères sont réunis, l’éditeur de presse pourra prétendre au bénéfice des avantages fiscaux accordés à la presse écrite (régime des provisions pour investissements et exonération de taxe professionnelle) dans des conditions fixées par décret.
Il paraissait difficile d’envisager la création de ce statut sans se pencher sur la problématique de la responsabilité éditoriale qui en vertu des dispositions actuelles de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle désigne le directeur de la publication comme premier responsable du délit de presse commis sur un service de communication en ligne lorsque les messages litigieux ont fait l’objet d’une fixation préalable. L’on sait que ce régime n’était pas adapté aux espaces participatifs présents sur de nombreux sites.
L’article 27 vient donc préciser – ce qui était souhaitable – que le directeur de la publication ne pourra être tenu responsable des contributions postées par les internautes dans un espace pour de contribution personnelle « identifié comme tel », « s’il est établi qu’il n’avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dés le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message ». Cette disposition rappelle évidemment le régime de responsabilité institué par la LCEN pour les hébergeurs. L’application du nouveau statut d’éditeur de presse en ligne est donc certainement de nature à susciter quelques contentieux quant à ses conditions d’application.
Hélèna DELABARRE