Le lien hypertexte au regard du droit de communication au public : La CJUE se prononce sur le cas d’une vidéo intégrée sur un site tiers (« framing »)
Une décision particulièrement attendue a été rendue par la CJUE le 21 octobre 2014 dans l’affaire BestWater. Suite à l’arrêt Svensson [Netcom mai 2014 : « Lier n’est pas jouer : sur le statut des liens hypertextes au regard du droit d’auteur », CJUE, 4ème Ch., C-466/12, 13 février 2014, Nils Svensson, Sten Sjögren, Madelaine Sahlman, Pia Gad c/ Retriever Sverige AB (« Svensson »)], la Cour avait une nouvelle fois saisi l’occasion d’apporter une pierre à l’édifice en construction du droit de communication au public sur Internet, au regard plus particulièrement du statut des liens hypertextes.
L’affaire introduite à l’origine devant les tribunaux allemands oppose BestWater International, qui détient les droits exclusifs sur un film publicitaire dont elle est producteur, à deux agents commerciaux qui avaient intégré ce film sur leurs sites web professionnels respectifs. Cette intégration avait été possible grâce à la fonction « embed » de YouTube, la vidéo étant disponible sur la célèbre plateforme, bien que celle-ci ait été mise à disposition sans autorisation selon le producteur.
Le Bundesgerichtshof (Cour fédérale allemande) avait alors décidé de sursoir à statuer afin de poser une question préjudicielle tendant à déterminer si « le fait qu’une œuvre d’un tiers mise à la disposition du public d’un site Internet dans des conditions telles que celles en cause au principal [peut] être qualifié de communication au public au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, même lorsque l’œuvre en question n’est ni transmise à un public nouveau ni communiquée suivant un mode technique spécifique différent de celui de la communication d’origine ».
C’est par ordonnance, et donc sans attendre les conclusions de l’avocat général, que la Cour a rendu sa décision, en considérant qu’il n’y avait pas de communication au public du « seul fait qu’une œuvre protégée, librement disponible sur un site Internet, est insérée sur un autre site Internet au moyen d’un lien utilisant la technique de la « transclusion » (« framing ») ».
Pour rappel, la Cour avait considéré en février 2014 dans sa décision Svensson que « ne constitue pas un acte de communication au public, tel que visé à cette disposition, la fourniture sur un site Internet de liens cliquables vers des œuvres librement disponibles sur un autre site Internet », faute de public nouveau.
L’intitulé de la question accordait en réalité peu de marge de manœuvre aux juges. Les termes choisis avaient pour effet de demander à la Cour si les critères de l’existence d’une communication au public dégagés depuis l’arrêt SGAE en 2006 jusqu’à l’arrêt Svensson étaient applicables au cas d’une mise à disposition par lien hypertexte permettant une intégration de l’œuvre sur un site tiers.
La Cour rappelle ces critères de manière claire : il y a communication au public mettant en jeu le droit exclusif au sens de l’article 3(1) de la directive 2001/29 si l’œuvre est « communiquée selon un mode technique spécifique, différent de ceux jusqu’alors utilisés » ou si elle est communiquée à un public nouveau, « c’est-à-dire un public n’ayant pas été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale » (§14).
Par ailleurs, la réponse au cas particulier de l’intégration par lien hypertexte d’une œuvre sur un site tiers semblait pouvoir être déjà trouvée dans les motifs de l’arrêt Svensson. La Cour avait en effet affirmé que la solution dégagée concernant la publication d’un simple lien hypertexte renvoyant vers le site de publication d’origine « ne saurait être remise en cause si […] l’œuvre apparaît en donnant l’impression qu’elle est montrée depuis le site où se trouve ce lien, alors que cette œuvre provient en réalité d’un autre site » (Svensson, §29 et §30).
L’on pourra de nouveau regretter que la Cour n’ait pas décidé d’aborder explicitement le cas où l’œuvre a été mise à disposition pour la première fois sans l’autorisation de l’ayant-droit, alors que cette circonstance était précisément invoquée dans le litige au principal. La décision de la juridiction allemande à venir pourra être riche d’enseignement à cet égard.
Loïc FOUQUET
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