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CJUE, 15 décembre 2011, Firsdranken Industrie Winters BV c/ Red Bull GmbH

La Cour de Justice de l’Union Européenne a jugé, dans un arrêt du 15 décembre 2011, que le prestataire qui remplit des contenants sur lesquels sont apposés des signes, ne fait pas usage de ce signe.

Dans cette affaire, la société Red Bull était opposée à la société Winters, prestataire de la société Smart Drinks, concurrente de Red Bull. La société Smart Drinks fait en effet appel, pour le remplissage de ses canettes, à la société Winters à qui elle fournit le sirop qui sert de base à la boisson ainsi que les canettes vides.

En l’espèce, les canettes litigeuses portent les signes « BULL FIGHTER », « PITBULL », « RED HORN », et « LIVE WIRE ». Une fois les canettes remplies, et sans même les exporter ou les expédier, Winters restitue les canettes remplies à Smart Drinks. Sur commande et instructions de Smart Drinks, la prestation de Winters se limite donc à une opération de remplissage pure et simple de canettes vides, sur lesquelles ont été préalablement apposés les signes précités, cette apposition n’étant pas réalisée par Winters.

La société Red Bull, qui détient plusieurs enregistrements internationaux sur la marque « RED BULL » a intenté contre le prestataire Winters une action en référé devant les juridictions hollandaises compétentes, afin de voir ordonner à cette société de cesser le remplissage des cannettes, ce remplissage constituant selon Red Bull un usage de ses marques.

Le juge des référés a considéré que le remplissage des canettes par Winters devait être considéré comme un usage des signes en cause. Suite à l’appel des sociétés Red Bull et Winters, la Cour d’appel a confirmé que le remplissage constituait bien un usage des signes litigieux. En effet, d’après la Cour et en l’espèce, le fait d’introduire le produit dans les cannettes déjà revêtues de la marque jugée contrefaisante caractérise une apposition de la marque sur le produit.

Ainsi, en combinant le sirop de base allongé et les cannettes, pourvues des signes en cause, pour en faire le produit fini, Winters apposerait ces signes sur le produit, même si les canettes lui étaient livrées déjà revêtues de la marque.

Après un pourvoi en cassation de la société Winters, la Cour Suprême des Pays-Bas a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de Justice la question préjudicielle suivante :

Le simple remplissage d’un conditionnement pourvu d’un signe doit-il être considéré comme un usage de ce signe dans la vie des affaires – et par conséquent, susceptible d’être qualifié de contrefaçon si le signe en cause reproduit ou imite une marque existante ?

Bien que les éléments de fait soient fort différents, la Cour de Justice se  réfère aux principes dégagés dans l’arrêt Google France (C-236/08, C-237/08 et C-237/09) dans lequel elle a jugé que le prestataire d’un service de référencement, qui permet à ses clients de faire usage des signes constituant les mots clés, ne fait pas lui-même un tel usage, et ce en dépit du fait que ledit service est rémunéré et implique un contact direct avec le public.

En l’espèce, la Cour relève que Winters exécute une partie technique du processus de production du produit final sans pour autant tirer un quelconque avantage de la présentation externe des canettes reproduisant le signe litigieux et que le « remplisseur » de canettes déjà revêtues d’une marque contrefaisante est ici un simple prestataire technique, agissant sur instructions d’un tiers. Par conséquent, Winters ne fait pas usage du signe litigieux.

La Cour a pris soin de rappeler qu’en tout état de cause, cet usage doit se faire pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée. Or, la simple activité de remplissage réalisée par Winters ne présente aucune similitude avec les produits visés par les marques de Red Bull. L’entreprise procédant au remplissage n’apparaît pas au consommateur, ce qui exclut toute association entre ses services et les signes protégés.

La Cour décide donc que :
« L’article 5 paragraphe 1, sous b), de la première directive 89/104/CEE (…) doit être interprété en ce sens qu’un prestataire de service qui, sur commande et sur les instructions d’un tiers, remplit des conditionnements qui lui ont été fournis par ce tiers, lequel y a fait apposer préalablement un signe identique ou similaire à un signe protégé en tant que marque, ne fait pas lui-même un usage de ce signe susceptible d’être interdit en vertu de cette disposition ».

Il convient de souligner que la réponse de la Cour porte sur une question très précise : celle du remplissage d’un conditionnement revêtu d’une marque non apposée par le prestataire qui procède au conditionnement. La solution serait sans doute différente si le prestataire avait lui-même apposé le signe litigieux, même sur instructions du client. En revanche, cette solution semble également applicable au prestataire qui remplirait des flacons protégés par une marque tridimensionnelle.

La Cour de Justice précise également que les signes litigieux dans cette espèce sont tout au plus similaires, mais non identiques aux signes protégés par Red Bull. Cette précision indique-t-elle que la solution dégagée par la Cour de Justice détaillée ci-dessus aurait été différente en cas de signes identiques ? Au regard du raisonnement adopté par la Cour, la réponse devrait être négative, dans la mesure où c’est l’activité même de remplissage qui a été considérée par la Cour comme n’impliquant pas un usage de la marque.

La Cour indique en revanche, en toute logique, que cette solution n’empêche pas le titulaire de la marque d’agir à l’encontre du client du prestataire en cause, en l’espèce, Smart Drinks, qui a apposé, directement ou par le biais d’un prestataire de service, les signes litigieux.

Cette décision invite à la réflexion quant à la désignation du responsable dans le cadre d’une affaire de contrefaçon. Elle s’inscrit dans le courant jurisprudentiel de la jurisprudence Google du 23 mars 2010, qui est ici étendue au prestataire qui remplit des contenants susceptibles de porter atteinte à des droits de propriété intellectuelle.

Anne Sophie LABORDE

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