Il est acquis depuis l’arrêt « Cryo » de la première chambre civile de la Cour de cassation du 22 juin 2009, que le jeu vidéo est une œuvre complexe non réductible à sa seule dimension logicielle, chacune de ses composantes étant soumise au régime qui lui est applicable en fonction de sa nature. Conséquence de la qualification d’œuvre composite, l’éditeur d’un jeu vidéo doit obtenir l’accord de l’auteur compositeur de l’œuvre musicale incorporée, la SESAM assurant, pour les œuvres multimédias, l’exercice et la gestion des droits de reproduction mécanique des œuvres relevant du répertoire de la SACEM – SDRM.
En l’espèce l’auteur compositeur de musiques de jeux vidéo reprochait à la SACEM (et la SESAM) d’avoir violé leur mandat de gestion en ne mettant pas en œuvre les moyens humains et technologiques nécessaires à l’identification de toute utilisation de ses œuvres, notamment à l’étranger mais également en France, et par suite en ne poursuivant par le recouvrement de créances auprès de certains éditeurs de jeux vidéo.
Il leur reprochait également de ne pas avoir procédé à la répartition en sa faveur de tous ses droits, toutes les redevances dues au titre de l’activité d’un éditeur de jeu entre temps liquidé n’ayant pas selon lui été réparties.
La Cour d’appel rejette ses demandes après avoir constaté qu’aucun manquement ne pouvait être reproché à la SACEM, celle-ci apportant la preuve de la négociation de contrats d’autorisation de reproduction avec certains éditeurs, de tentatives de recouvrement amiable et de poursuites judiciaires à l’encontre d’autres, mais l’arrêt mérite d’être signalé pour la qualification juridique des apports qu’il retient.
Dans le prolongement d’une lignée de jurisprudences, la Cour exclut la qualification d’apport cession tout en reconnaissant la nature particulière de l’apport en gestion confié aux sociétés de gestion collective (Civ. 1ère 24 février 1998 Bull n°75).
La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 25 septembre 2009, avait déjà jugé concernant la SPEDIDAM que « l’adhésion de l’artiste s’analyse non pas en une cession emportant aliénation de ses droits puisqu’il ne s’en dépossède pas, mais comme un apport en gestion de ceux-ci, car il conserve le profit de leur exploitation ; que son apport n’ayant aucun caractère définitif, il pourra reprendre l’exploitation de ses droits, comme le prévoit l’article 3, lequel dispose en effet que la qualité d’associé peut se perdre par la démission ou la radiation (…). Que l’apport singulier que l’artiste-interprète réalise en adhérant aux statuts n’est d’ailleurs pas un acte de disposition ou d’aliénation mais un acte d’administration ».
Dans la présente affaire, la Cour de Versailles prolonge l’analyse en qualifiant l’apport de mandat exclusif, impliquant pour la société de gestion une obligation de moyen renforcée s’agissant du recouvrement des droits pécuniaires liés à l’utilisation des œuvres, et une obligation de résultat concernant la répartition des sommes dont elle a pu obtenir le paiement.
La Cour précise que « l’obligation du mandataire n’existe qu’à partir du moment où l’auteur a fait connaître l’œuvre à la SACEM par une déclaration ». Il en résulte que l’apport d’une œuvre à une société de gestion collective n’est parfait qu’après sa déclaration, et que la SACEM ne peut être investie, du fait seul fait de l’adhésion, de l’obligation de gérer des œuvres futures que le sociétaire ne lui aura pas déclaré.
La Cour précise également que l’auteur n’est pas fondé à se plaindre d’une absence de versement de droit (obligation de résultat), dans la mesure où la répartition dépend de la perception préalable auprès des utilisateurs (obligation de moyen renforcée).
Elle ajoute enfin, mais cela allait sans dire, que l’auteur conservait la possibilité d’exercer les actions relatives à la protection morale de ses œuvres.
Emmanuel EMILE-ZOLA-PLACE